L'aménagement linguistique est le domaine qui étudie la réglementation des langues par des États (les pays, les provinces ou les état) ou des organismes officiels. Il comporte deux volets: la réglementation du code (Académie française et l'Office de la langue française du Québec par exemple) et la gestion du statut des langues dans l'État (langues officielles et nationales). Le présent document ne porte que sur le deuxième volet.
Une langue officielle constitue la langue de fonctionnement d'un gouvernement. Elle est choisie sur des bases politiques et diplomatiques. Le choix est habituellement dirigé partiellement par les langues parlées dans l'État, mais ce n'est pas toujours le cas comme on peut l'observer dans plusieurs États d'Afrique. Au Mali par exemple, le français est langue officielle alors qu'elle est parlée par moins de 50% de la population (le bambara est la langue la plus parlée et la langue nationale). Les langues officielles peuvent aussi être choisies pour des raisons historiques ou pour harmoniser les contacts entre communautés linguistiques. La langue officielle favorise aussi les contacts diplomatiques avec les pays partageant la langue officielle. La langue officielle doit être distinguée de la langue nationale, qui est la langue de contact entre l'État et ses habitants. Alors que le gouvernement fonctionne dans la ou les langues officielles, la ou les langues nationales sont les langues de communication avec le peuple. Le choix de la langue nationale est aussi un choix politique mais son importance est plus grande à l'intérieur de l'État qu'à l'extérieur. Le Canada a deux langues officielles, mais pas de langue nationale.
Les États peuvent intervenir linguistiquement de plusieurs façons. Voici une liste de moyens d'intervention linguistique adoptés par certains pays:
Plusieurs pays ont choisi de maintenir plus d'une langue officielle. Ces pays
sont dits "bilingues" s'il s'y parle deux langues et "plurilingues" s'il s'y
parle plus de deux langues. Mais le niveau de service associé aux langues
officielles et aux langues nationales varie grandement. Certains pays plurilingues garantissent des niveaux de service presque égaux
aux langues du pays (comme le Canada et le Pakistan). D'autres offrent très peu
de services autrement que dans la langue dominante (la Papousie-Nouvelle Guinée
et Singapour par exemple). Voici une liste des pays plurilingues:
Pays plurilingues | |
États | Langues |
Afghanistan | dari pashto |
Afrique du Sud | afrikaans anglais |
Belgique | français néerlandais allemand |
Burundi | rundi français |
Cameroun | français anglais |
Canada | français anglais |
Chypre | grec turc |
Comores | français arabe |
Finlande | finnois suédois |
Guam | anglais chamorro |
Haïti | français créole |
Inde | hindi anglais |
Irlande | anglais irlandais |
Kenya | swahili anglais |
Kiribati | kiribati anglais |
Lesotho | sotho anglais |
Madagascar | anglais français |
Malte | maltais anglais |
Maurice (Île) | anglais français |
Mauritanie | arabe français |
Norvège | bokmaal nynorsk |
Nouvelle-Zélande | anglais maori |
Pakistan | ourdou anglais |
Philippines | filipino (tagalog) anglais |
Porto-Rico | espagnol anglais |
Samoa Occidentale | samoan anglais |
Seychelles | français anglais créole |
Singapour | malais anglais mandarin tamoul |
Somalie | somali arabe |
Sri Lanka | cinghalais tamoul |
Suisse | allemand français italien |
Swaziland | si-swati anglais |
Tanzanie | anglais swahili |
Vanuatu | français anglais bichlamar |
Vatican | italien latin |
Sources: Laponce, J.A. (1984). Langue et territoire. CIRB. p 94. Leclerc, J. (1998). L'aménagement linguistique dans le monde. http://www.ciral.ulaval.ca/alx/amlxmonde/accmonde.htm |
Le Canada vit une situation linguistique particulière en cela que les
locuteurs des deux langues officielles sont centralisés dans des régions
distinctes mais que le gouvernement fédéral fonctionne tout de même dans les
deux langues. Les gens dont la langue parlée à la maison est l'anglais ou le
français représentent une majorité importante des Canadiens. Les francophones
sont surtout regroupés au Québec et au Nouveau-Brunswick alors que les
anglophones vivent surtout en dehors du Québec. Il existe tout de même des
communautés de locuteurs anglophones au Québec et de locuteurs francophones en
dehors du Québec et du Nouveau-Brunswick. Le tableau qui suit représente les
proportions de francophones et d'anglophones au moment du recensement de 2001.
Distribution des populations francophones, anglophones | |||
Province/Territoire | Francophones | Anglophones | Allophones |
Colombie-Britannique | 1,5% | 73,6% | 24,8% |
Alberta | 2,1% | 81,5% | 16,4% |
Saskatchewan | 1,9% | 85,4% | 12,7% |
Manitoba | 4,2% | 75,4% | 20,5% |
Ontario | 4,7% | 73,1% | 24,2% |
Québec | 81,4% | 8,3% | 10,3% |
Nouveau-Brunswick | 33,2% | 65,0% | 1,7% |
Île-du-Prince-Édouard | 4,4% | 94,0% | 1,6% |
Nouvelle-Écosse | 3,9% | 93,0% | 3,1% |
Terre-Neuve | 0,5% | 98,4% | 1,1% |
Yukon | 3,3% | 86,8% | 9,9% |
Territoires du Nord-Ouest | 2,7% | 77,8% | 19,5% |
Nunavut | 1,5% | 26,9% | 71,6% |
Canada | 22,9% | 59,1% | 18,0% |
Source: Statistique Canada, Le Quotidien, 2 décembre 1997. |
Il faut noter que les proportions sont différentes des recensements
précédents. La différence la plus importante est que le français a baissé
partout au Canada sauf au Yukon et que l'anglais a baissé légèrement pour le
pays dans son ensemble. Ces baisses ont été occasionnées par la hausse générale
de l'importance des autres langues, notamment à cause de l'immigration. À ce
sujet, les langues qui ont connu les hausses les plus importantes sont le
chinois, le punjabi, l'arabe et le tagalog. Les langues non officielles les plus
fréquemment parlées au Canada sont le chinois (2,9%), l'italien (1,5%) et
l'allemand (1.5%). Seulement 0,7% de la population canadienne a déclaré avoir
une langue autochtone comme langue maternelle (la plupart des locuteurs habite
les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut). Les langues autochtones les plus
courantes sont le cri (87 500 locuteurs), les dialectes inuits (27 800
locuteurs) et l'ojibwa (25 900 locuteurs). Par ailleurs, le taux de bilinguisme
anglais-français a augmenté partout au pays entre 1971 et 1996.
Taux de bilinguisme anglais-français | |||||
Province/Territoire | 1971 | 1981 | 1991 | 1996 | 2001 |
Colombie-Britannique | 4,6% | 5,7% | 6,4% | 6,7% | 7,0% |
Alberta | 5,0% | 6,4% | 6,6% | 6,7% | 6,9% |
Saskatchewan | 5,0% | 4,6% | 5,2% | 5,2% | 5,1% |
Manitoba | 8,2% | 7,9% | 9,2% | 9,4% | 9,3% |
Ontario | 9,3% | 10,8% | 11,4% | 11,6% | 11,7% |
Québec | 27,6% | 32,4% | 35,4% | 37,8% | 40,8% |
Nouveau-Brunswick | 21,5% | 26,5% | 29,5% | 32,6% | 34,2% |
Île-du-Prince-Édouard | 8,2% | 8,1% | 10,1% | 11,0% | 12% |
Nouvelle-Écosse | 6,7% | 7,4% | 8,6% | 9,3% | 10,1% |
Terre-Neuve | 1,8% | 2,3% | 3,3% | 3,9% | 4,1% |
Yukon | 6,6% | 7,9% | 9,3% | 10,5% | 10,1% |
Territoires du Nord-Ouest | 7,7% | 8,3% | |||
Nunavut | 6,3% | 3,8% | |||
Canada | 13,5% | 15,3% | 16,3% | 17,0% | 17,7% |
Source: Statistique Canada. Profil des langues au Canada : l'anglais, le français et bien d'autres. 2002. |
Les droits linguistiques des Canadiens sont protégés depuis longtemps. La loi constitutionnelle de 1867 proclamait déjà le Canada bilingue anglais-français. (Notez que les provinces ont leurs propres lois linguistiques; nous en parlerons sous peu). C'est cependant en 1969 que la loi sur les langues officielles a vu le jour, suite aux recommandations de la Commission Royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (Laurendeau & Dunton). Cette loi précisait les limites d'accès aux services en français et en anglais partout dans le pays et le mode de fonctionnement linguistique du gouvernement fédéral. Le rapatriement de la Constitution et le dépôt de la Charte des droits et libertés du Canada en 1982 sont venus compléter la protection des droits linguistiques, notamment quant à l'éducation par l'article 23. C'est sur la base de cet article et de son interprétation que la Cour Suprême du Canada a ordonné aux provinces anglophones de donner aux minorités francophones la gestion de leurs écoles (la cause Mahé, déposé en 1982 et dont le jugement a été reçu en 1985 et pour lequel la Cour a réitéré sont jugement en 1988). La loi sur les langues officielles a été amendée en 1988 (un résumé en est disponible en format PDF et doit être lu), conjointement à la loi sur le maintien et la valorisation du multiculturalisme au Canada.
Ces lois donnent ainsi les droits suivants aux Canadiens:
De plus, ces lois ont des retombées sur plusieurs autres aspects de la vie quotidienne:
Si le Canada dans son ensemble est officiellement bilingue, la situation
linguistique des provinces varie énormément. La seule province officiellement
bilingue est le Nouveau-Brunswick (enchâssé dans la Constitution
canadienne depuis 1982). Les deux territoires actuels (nous discuterons du
Nunavut plus loin) sont officiellement bilingues, puisqu'ils suivent la loi
sur les langues officielles du Canada. Les Territoires du Nord-ouest offrent
cependant des services dans six langues dont trois possèdent deux dialectes - on
y produit donc neuf versions différentes des documents traduits. Le Québec est
officiellement français mais offre une protection de l'anglais qui dépasse celle
que la plupart des autres provinces offrent aux francophones. Entre autres, une
pleine gestion scolaire depuis la création même du ministère de l'éducation et
des hôpitaux anglais là où le nombre le justifie (Montréal et Québec). L'Ontario
offre aussi une certaine protection de sa minorité francophone. Aucune province
n'offre de services de façon systématique dans des langues autres que l'anglais
et le français. Les langues autochtones, malgré leur résurgence et les gains
politiques des autochtones durant les dernières années, ne sont protégées que
dans les Territoires du Nord-Ouest et le seront dans le Nunavut.
Distribution des langues officielles des provinces et des territoires au Canada | |
Province/territoire | Langue(s) officielle(s) et statut |
Colombie-Britannique | anglais de facto |
Alberta | anglais de jure (justice bilingue) |
Saskatchewan | anglais de jure (justice bilingue) |
Manitoba | anglais et français de jure |
Ontario | anglais de facto (voir Loi sur les services en français) |
Québec | français de jure (voir art. 133 de la Constitution de 1867 pour certaines limites) |
Nouveau-Brunswick | anglais et français (Constitution et Loi sur les langues officielles de 1969) |
Île-du-Prince-Édouard | anglais de facto |
Nouvelle-Écosse | anglais de facto |
Terre-Neuve | anglais de facto |
Yukon | anglais et français de jure (statut ambigu) |
Territoires du Nord-Ouest | anglais et français de jure |
Nunavut | anglais, français, inuktitut, inuinnaqtun |
L'Alberta faisait partie des Territoires du Nord-Ouest jusqu'en 1905. Elle avait donc jusqu'alors comme langues officielles l'anglais et le français. Cette même année, l' Ordonnance scolaire de 1892 de la province désigne l'anglais comme langue d'enseignement mais permet l'usage limité du français dans les classes élémentaires. L'Ordonnance scolaire de l'Alberta est amendé en 1969 pour permettre l'usage du français dans les écoles. En 1985, l'affaire Paquette force le gouvernement à revoir sa position linguistique: puisque les législateurs de 1905 n'avaient pas déclaré l'anglais comme langue officielle de l'Alberta, les droits linguistiques dans la province sont gouvernés par l'Acte des Territoires du Nord-Ouest de 1877 qui stipule que les Territoires sont officiellement bilingues anglais-français (l'Alberta qui en naît est donc bilingue jusqu'à ce que le gouvernement en décide autrement par loi). Ce n'est qu'en 1988 que la loi linguistique (loi 60) vient déclarer l'Alberta officiellement unilingue anglaise mais de justice bilingue. Entre temps, trois parents francophones soulèvent l'affaire Mahé. Le groupe (qui s'appelait "Association Bugnet" suivant la mort de Georges Bugnet, un auteur francophone qui a vécu la plupart de sa vie en Alberta et qui est décédé en 1981; l'Association était composée de Mahé, Martel et Dubé,) présente à la Cour Suprême l'argument que l'article 23 de la Charte des droits et libertés du Canada donne le droit aux francophones minoritaires de l'Alberta d'obtenir pleine gestion de leurs écoles. La Cour d'Appel de l'Alberta rend un jugement favorable en 1985. En 1988, la Cour suprême du Canada réitère son jugement puisque le gouvernement albertain n'a pas agit en fonction du jugement de 1985; la Cour réitère son jugement. Ce n'est qu'en 1992 que les francophones ont acquis la gestion de leurs écoles. Il existe maintenant trois conseils scolaires francophones en Alberta. Depuis, toutes les provinces anglophones ont suivi le pas de l'Alberta.
En 1987, Léo Piquette (député néo-démocrate francophone) pose une question en français à l'Assemblée législative. Le Speaker de l'Assemblée lui refuse le droit de parole et lui demande de s'excuser et décrète que la langue de l'Assemblée est l'anglais. Une personne voulant s'exprimer en français devra dorénavant annoncer son intention d'avance pour permettre à l'Assemblée de trouver des interprètes (voir la loi linguistique de 1988).
L'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 stipulait que le Québec (Bas-Canada) devait tenir ses registres et ses lois dans les deux langues officielles. Les textes de loi anglais et français ont valeur égale (ceci a été modifié pour une courte durée entre 1937 et 1938). De plus, il permettait que l'une ou l'autre des langues soit utilisée dans les tribunaux et à la législature (Assemblée nationale). Le Code civil prévoit aussi depuis 1910 que tous les documents publics relatifs aux communications et aux transports doivent être imprimés dans les deux langues. En 1969, La belle province a adopté le projet de loi 63 visant à la promotion de la langue française. Elle réaffirme, entre autres, que les parents ont le droit de choisir la langue d'enseignement de leurs enfants (le français ou l'anglais). Les élèves qui étudient en anglais doivent cependant pouvoir fonctionner en français. Ce n'est qu'en 1974 que le Québec devient officiellement unilingue français. Elle se dote de la Charte de la langue française (loi 101) en 1978. Cette loi contient des dispositions quant à la langue de l'Assemblée nationale, des tribunaux, de l'administration, des organismes parapublics, de l'enseignement, du commerce et des affaires. Elle sous-tendait aussi la préséance du français dans les textes de loi. Elle propose un programme rigoureux de francisation des entreprises qui choque certains membres de la communauté anglophone de la province. En 1979, la Cour Suprême du Canada déclare la portion de la Charte de la langue française qui couvre la législation et la justice inconstitutionnelle (elle contrevient à l'article 133 de la loi constitutionnelle de 1867 -- la position de la Cour sera précisé dans un jugement de 1981). Le Québec modifie la loi 101 en conséquence. Le Québec assouplit encore une fois la loi 101 en 1983. La Cour émet un autre jugement en 1988, cette fois-ci quant à l'article 53 de la Charte de la langue française qui stipule que l'affichage public au Québec doit se faire exclusivement en français. La Cour affirme que cette disposition est incompatible avec la Charte des droits et libertés du Canada et celle du Québec. L'Assemblée nationale présente en réponse la loi 178 qui stipulait que l'affichage et la publicité commerciale à l'extérieur du commerce doit se faire en français seulement mais que d'autres langues sont permise à l'intérieur du commerce si le français prime. L'Assemblée nationale a dû évoquer la clause "nonobstant" de la Constitution canadienne pour justifier ces mesures (la loi 178 est échue depuis 1993). Ces péripéties se déroulaient durant les négociations de l'Accord du lac Meech qui visaient à modifier la Constitution canadienne et amener le Québec à ratifier l'entente constitutionnelle dont il s'était exclus en 1982. L'Accord n'a pas été signé par toutes les législatures dans les délais prévus.
Les Territoires du Nord-Ouest seront scindés en deux parties le premier avril 1999 suite à la signatures en 1993 de l'Accord du Nunavut . La partie Ouest maintiendra son nom (malgré les dissensions) et ses statuts. Le gouvernement du Nunavut aura comme langues officielles l'anglais, le français, l'inuktitut et l'inunnaqtun (deux dialectes esquimaux; le premier utilise un code écrit syllabique et le second, le code écrit alphabétique romain). Les politiques linguistiques n'ont cependant pas été déterminées (comme d'ailleurs plusieurs problématiques gouvernementales). Une commission s'est penchée sur la question à l'hiver 1998; plusieurs mémoires souvent contradictoires y ont été déposés sans toutefois de prise de décisions ou de rapports finals. La problématique de base est que la population majoritaire parle inuktitut (63%); une petite partie de la population isolée géographiquement parle inuinnaqtun (11%). La plupart de la population peut communiquer en anglais (il y a environ 21% de la population pour qui l'anglais est la langue maternelle). Un peu plus de 400 personnes parlent français (2%). De plus, les cadres du premier mandat du gouvernement seront sans aucun doute à prédominance anglophone. Il semble donc difficile de justifier un niveau de service en quatre langues à tous les paliers de gouvernement et dans tous les services. Le dossier reste à suivre et on peut déjà prévoir des débats houleux.
1. Quel est le mandat du Commissaire aux langues officielles? (Indice)
Mis à jour en août 2002 © Martin Beaudoin, 1998 |