Accès au menu de navigationAccès au contenu
Vous êtes ici Accueil  »  Bibliothèque virtuelle
 

 
LA NORME LINGUISTIQUE

LA
NORME
LINGUISTIQUE

Textes colligés et présentés par

Édith Bédard et
Jacques Maurais






Cinquième partie



Problèmes pratiques






XVIII

Norme et enseignement de la
langue maternelle1

Gilles Gagné



Les enseignants de la langue maternelle qui oeuvrent en particulier au primaire et au secondaire se posent souvent de nombreuses questions sur le contenu et l'efficacité de leur enseignement du français. Quel(s) français doit-on enseigner? Peut-on accepter n'importe quel niveau de langue en classe? Comment corriger la langue des enfants? Est-ce possible? Peut-on faire quelque chose pour changer la langue du milieu? Ces questions, qui se posent également à l'ensemble du système scolaire québécois et de nombreux autres pays, relèvent du domaine de la didactique ou de la pédagogie de la langue maternelle. Elles se situent par rapport aux objectifs et aux orientations de cet enseignement.

Comme beaucoup de problèmes de didactique de la langue maternelle, la question de la norme, ou plus spécifiquement de la langue à enseigner, exige une synthèse multidisciplinaire de données de domaines plus fondamentaux comme la linguistique, la psycholinguistique et la sociolinguistique ou plus généraux comme la pédagogie. Cependant, les données d'ordre théorique ou expérimental que ces disciplines fournissent ne constituent pas encore un cadre explicatif unique et universellement admis. Pour éclairer la question de la nomme et de la langue à enseigner, cet article se propose dans un premier temps de faire une cueillette, un choix de données disciplinaires parmi celles qui semblent les plus sûres et les plus pertinentes. Une telle démarche implique qu'il n'y aura pas d'approfondissement de ces données fondamentales, mais une tentative de synthèse qui puisse apporter une vision cohérente fondant l'existence d'une ou de plusieurs nommes.

Les différentes conceptions de la langue et de la norme donnent lieu à des orientations et à des objectifs pédagogiques de l'enseignement de la langue maternelle que l'on peut regrouper en deux tendances nettement différentes : une pédagogie centrée sur le code et une pédagogie centrée sur l'utilisation du code. Une discussion des limites de chaque tendance faite en particulier à la lumière des concepts dégagés dans la première partie devrait permettre d'aboutir à proposer une synthèse conceptuelle de ces tendances. Cette discussion aura lieu en tenant compte du cadre scolaire régulier et ne pourra s'appliquer au développement du langage au préscolaire, ni aux enfants nécessitant des interventions orthopédagogiques ou dont la langue première toujours parlée à la maison n'est pas le français.




1 L'auteur tient à remercier Claude Germain, Roger Lazure et Elca Tarrab pour leur précieuse contribution à la révision de ce texte de mime que Nicole Gaboury pour sa dactylographie. [retour au texte]




Les concepts fondamentaux dégagés quant à la norme et la synthèse pédagogique proposée sont susceptibles de permettre de formuler dans un troisième temps des propositions d'objectifs généraux et de contenus linguistiques pour l'enseignement du français langue maternelle. Ces propositions tiennent compte de la société québécoise et de la réalité éducative d'une salle de classe, mais n'offrent pas de suggestions de méthodologie ni de démarche d'enseignement n s'agit d'un essai théorique, limité à la détermination des contenus linguistiques de l'enseignement et à l'identification de quelques critères de choix d'éléments linguistiques oraux à développer chez les enfants du primaire et du secondaire.

1. Quelques considérations préalables

L'école a comme objectif d'enseigner la langue maternelle. À première vue, pour quiconque n'a pas réfléchi aux questions de langue et de langage, cet objectif semble clair et simple. Toutefois, il n'en est rien. l'objet de l'enseignement n'est pas clairement défini. En effet, la langue est constituée d'un ensemble de variations (1.1) dont il y a lieu de connaître le fonctionnement pour expliquer l'intercompréhension (1.2) qui se réalise malgré ces variations. Il faut également savoir à quoi sert la langue (1.3) afin de déterminer pourquoi l'enseigner. La compréhension du langage des enfants (1.4) est utile pour savoir comment ce dernier peut se développer et afin de comprendre le rôle important que la langue joue dans l'enseignement et les apprentissages scolaires (1.5). Une étude, même très sommaire, de ces cinq questions constitue un préalable nécessaire pour situer le problème de la norme et de l'enseignement de la langue maternelle.

1.1 La variation linguistique

La langue française ne constitue pas un tout homogène. Au contraire, elle présente de nombreuses variations de sorte qu'il y a rarement une seule façon d'exprimer la même chose. Pour exprimer une même réalité, il existe plusieurs variantes, c'est-à-dire des formes linguistiques différentes qui véhiculent le même sens. Ces variations tiennent d'abord aux différences entre le français écrit et le français parlé et ce dernier présente à son tour des variations d'ordre linguistique, géographique, social ou de registre.

1.1.1 Français écrit, français parlé

On distingue dans un premier temps le français parlé et le français écrit. Il n'est pas clair s'il s'agit de deux codes distincts ou de deux réalisations différentes d'un même code, si les similitudes sont plus nombreuses que les différences. Peu importe, les différences existent et de façon importante. On a pu les identifier quant aux constituants de surface : les graphèmes ou les phones et quant aux autres niveaux de l'analyse linguistique : la phonologie, la morphologie (grammaticale), la syntaxe, le lexique. On a également fait ressortir des différences entre les activités de production orale (parler) et écrite (écrire) de même qu'entre les activités de réception orale (écoute) et écrite (lecture). Les situations de communication diffèrent elles aussi par plusieurs aspects selon que le « canal » écrit ou oral est utilisé. L'existence de telles différences conduit à aborder différemment la question de la nomme selon qu'il s'agit du français parlé ou du français écrit.

1.1.2 La norme en français écrit

Dans l'ensemble, le problème de la norme se pose avec peu d'acuité en français écrit. En effet, les textes publiés sont presque tous écrits dans un français qui respecte les prescriptions d'orthographe lexicale et grammaticale telles qu'elles apparaissent dans les dictionnaires comme le Larousse ou le Robert et dans les grammaires comme celle de Grevisse. Malgré les velléités de réforme orthographique et l'intérêt social et pédagogique suscité par cette dernière, la nécessité d'une orthographe et d'une grammaire uniques du français écrit n'est à peu près pas contestée. La perspective normative s'impose d'autant plus facilement qu'il n'y a pas multiplicité des usages orthographiques et grammaticaux2. Malgré l'arbitraire de l'orthographe lexicale et de la grammaticalité morphologique, morphosyntaxique et syntaxique, l'enseignement du français écrit s'inscrit dans le cadre des grammaires et des dictionnaires normatifs existants.

1.1.3 Les variations du français parlé

À l'oral, le français, comme toutes les langues, est moins homogène et se prête à de nombreuses variations d'usage. Les études réalisées jusqu'à maintenant révèlent que les variations sont beaucoup plus considérables aux niveaux lexical et phonologique qu'aux niveaux syntaxique et morphologique. En outre, elles permettent de distinguer quatre types de variations : des variations d'ordre social, des variations de registres, des variations dues à des contraintes linguistiques et des variations d'ordre géographique.

Les dernières, connues depuis longtemps, sont les plus accessibles à l'expérience commune. Les accents, par exemple, constituent des façons différentes de diré les mêmes mots et varient d'un pays, d'une région et quelquefois d'un village à l'autre. C'est souvent par l'accent que l'on peut identifier l'origine géographique de quelqu'un. Le lexique quotidien varie également en fonction des régions de la francophonie. Il est connu depuis longtemps que l'on prend son petit déjeuner, que l'on déjeune et que l'on dîne à Paris alors qu'à Montréal on déjeune, on dîne et on soupe. Les études de dialectologie géographique livrent de très nombreuses variantes lexicales et phonologiques. L'ensemble des variantes ayant cours dans une région donnée constitue ce qu'on peut appeler une variété dialectale. C'est le cas, par exemple, du français québécois, du français parisien, etc.




2 Ce qui n'est pas le cas des usages stylistiques ou littéraires. Nous y reviendrons. [retour au texte]




Les variations d'ordre social comprennent des variantes reliées à des variables qui ont pu être isolées expérimentalement. Chambers et Trudgill (1980) mentionnent notamment la classe sociale, le sexe, l'appartenance à un groupe ethnique, les réseaux sociaux, l'âge et différents facteurs individuels. Les relations entre les variantes et les variables mentionnées ci-dessus semblent plutôt se situer sur un continuum que se présenter de façon dichotomique ou discontinue. Il ne s'agit pas d'une classe socioéconomique utilisant exclusivement une variante et d'une autre classe utilisant une deuxième variante, une de ces variantes étant généralement perçue comme plus correcte. En général, dans une situation de communication identique, tous les groupes auraient tendance à utiliser les deux variantes, mais dans des proportions différentes. En d'autres termes, les locuteurs posséderaient un répertoire de formes linguistiques concurrentes dont la disponibilité varierait en fonction de l'âge, du sexe, de la classe sociale, etc., des locuteurs. Il s'agit de variations sociales, de ce que Laks (1977 : 114), à la suite de Labov (1972), appelle « la stratification sociale » de variables linguistiques.

L'utilisation par le même locuteur d'une variante plutôt que d'une autre dépend sans doute de plusieurs facteurs comme l'état psychosomatique du locuteur, le sujet dont il parle, sa relation avec l'interlocuteur, etc. Pour le moment, les études indiquent clairement que le choix dépend de la situation de communication où le locuteur se trouve et, bien sûr, de la perception qu'il en a. Expérimentalement, Labov (1971) a trouvé que le contexte situationnel constituait un facteur de variation. Ainsi, la prononciation du /r/ post-vocalique a varié chez des adultes new-yorkais selon qu'ils étaient dans un contexte informel ou dans un contexte formel ou qu'ils lisaient des listes de mots ou des paires minimales. Il s'agit ici de variations « stylistiques », c'est-à-dire de variations dues à des changements de situation de parole d'un même locuteur.

La distinction entre variations sociales et variations stylistiques permet de mieux définir la notion de registre. Ce terme, plus neutre, est préféré à l'expression « niveau de langue » qui dénote « des présupposés subjectifs implicites » (Mounin, 1975 : 133) et une hiérarchisation sociale des variantes linguistiques. Pour les fins de cet article, nous définissons le registre comme l'ensemble des variantes linguistiques qui se retrouveraient probablement le plus fréquemment dans tel type de communication. Il correspond en gros à registrer ou speech style. Nous suggérons donc de limiter la notion de niveau aux variations d'ordre stylistique et non social.

Il n'est pas facile de déterminer ces registres. En effet, une typologie des situations de communication semble pour le moment impossible à réaliser à cause en particulier de la complexité des interrelations entre les composantes de la communication : locuteur, intention, encodage, canal, message, décodage, interprétation, interlocuteur, contexte, référents. On ne peut identifier les différents registres que de façon arbitraire, intuitive et théorique. En gros, les auteurs s'entendent pour distinguer à l'oral soit deux niveaux : formel et informel, soit trois niveaux : populaire et courant (informel), de même que soutenu (formel). À l'écrit, on pourrait dégager les niveaux familier, correct et littéraire. Un exemple serait utile pour illustrer les correspondances de registre entre le code oral et le code écrit. Ainsi, l'omission du ne de négation serait courante (informelle) à l'oral mais familière à l'écrit alors que la présence du ne serait un indice d'un niveau écrit correct et d'un niveau oral soutenu (formel). Le tableau présenté en annexe fournit des exemples de registres québécois. Quoique la notion en soit théorique et les classifications encore arbitraires, les registres de langue fournissent un outil utile pour essayer de rendre compte d'une partie de la variation linguistique.

Un dernier type de variations peut se produire effectivement pour un même locuteur à l'intérieur d'un même type de situations ou de la même situation de communication. Irréductible aux trois variations précédentes, il s'agit d'une variation qui se déduit de « l'hétérogénéité interne au système linguistique lui-même » (Lasks, 1977 : 114). Ainsi, les phonèmes se réalisent de façon différente en fonction de leur environnement Les traits des phonèmes environnants influencent en effet la réalisation du phonème, comme dans le cas de /g/ qui est plus ou moins palatalisé lorsqu'il est suivi d'une voyelle antérieure comme /i/, /y/ ou /e/ et plus ou moins vélarisé lorsqu'il est suivi d'une voyelle postérieure comme /u/ ou //. Ce type de variation, longtemps considéré comme variation « libre », n'a rien de libre et tout de systématique : il semble obéir à des règles contraignantes.

1.2.4 Une ou des normes pour le français parlé?

Par rapport à la réalité de la variation linguistique, mise en évidence dans l'utilisation du code oral, est-il possible de concevoir l'existence d'une norme qui serait unique et prescriptive? Dans ce cas, une variété dialectale, une variété sociale et un registre seraient considérés comme appartenant à la norme et, de ce fait, qualifiés de standard. Les autres variantes seraient alors perçues de façon négative comme des écarts, des particularismes, des dialectologismes, des termes populaires, etc. Il est intéressant de constater que le français oral standard, en d'autres termes le bon usage, dans la mesure où il existe, a tendance à être défini comme l'intersection de trois ensembles : la variété parisienne, la variété « bourgeoise » et le registre formel.

Dans une critique importante de ce qu'il appelle le discours prescriptif, Alain Rey (1972, pp. 17-19) déplore que ce dernier confonde le bon usage et la norme avec la langue elle-même et qu'il effectue une évaluation critique et hiérarchisante des autres usages et, à travers eux, des usagers. Également, les justifications les plus fréquentes du discours normatif lui apparaissent à juste titre peu convaincantes, qu'elles soient d'ordre logique, historique, esthétique ou qu'elles invoquent l'efficacité sociale, c'est-à-dire l'amélioration du rendement informationnel et, partant, de la communication.

Contrairement au discours prescriptif et même normatif, la réalité des variations linguistiques orales semble révéler de fait l'existence de plusieurs nommes plus ou moins différentes, chacune fondée directement, anthropologiquement en quelque sorte, sur l'usage linguistique courant dans la communauté linguistique ambiante. Le fait qu'il n'existe pas de grammaire ou de dictionnaire normatif de la langue orale illustre la difficulté d'établir dans ce domaine une nonne prescriptive. Ce qui importe dans les situations de communication orale, c'est d'utiliser les variantes comprises par l'interlocuteur et socialement admises par lui. Pour être compris et pour être intégrés à la communauté, les individus utilisent un code conforme à l'usage de cette communauté.

Les écarts par rapport à l'usage admis implicitement risquent, en fonction de leur amplitude ou de leur connotation sociale, de conduire soit à des incompréhensions, soit à des rejets sociaux plus ou moins explicites. Il n'y a donc pas de norme prescriptive explicite, mais des usages variés que les interlocuteurs ont inconsciemment tendance à respecter dans leurs discours en fonction de l'acceptation sociale désirée et des objectifs d'intercompréhension poursuivis. Il y aurait donc des normes inconscientes de type descriptif, c'est-à-dire des normes construites par induction à partir d'un large corpus (Rey, 1972 : 21) et résultant d'une procédure de découverte inconsciente. Le locuteur a intériorisé une grammaire et un dictionnaire de l'usage ambiant, ou mieux, des usages ambiants.

S'il n'y a pas comme à l'écrit une norme grammaticale et phonologique prescriptive, il n'en demeure pas moins que les usages oraux sont perçus différemment par les usagers. Même si les locuteurs utilisent plusieurs de ces usages, ils ont tendance à privilégier et à valoriser l'usage formel ou soutenu de préférence aux autres. Ce modèle culturel varie géographiquement en fonction des communautés. Ainsi l'usage oral privilégié comme modèle est partiellement différent au Québec et en France, aux États-Unis et en Grande-Bretagne. La réalité de ce modèle culturel a été empiriquement démontrée par deux ensembles de recherches : les recherches portant sur les attitudes et celles portant sur les variations.

Les premières, celles de D'Anglejan et Tucker (1973), de Méar-Crine et Leclerc (1976) et de Lambert et Lambert (en cours en 1975), arrivent presque toutes aux mêmes constatations. Des sujets québécois de toutes les classes sociales jugent de façon plus favorable les personnes quand elles utilisent un français « européen » que lorsqu'elles utilisent un français « québécois ». Ce jugement est sollicité dans une situation expérimentale présentant l'enregistrement des mêmes voix utilisant alternativement des variétés différentes selon la technique du matched guise développée par Lambert et al. (1966). D'autres recherches (Sorecom, 1973; Boudreault et al. 1974; Rémillard, 1972; Laberge et Chiasson, 1971), utilisant cette fois la technique de l'enquête, concluent que le français soutenu, européen ou international, est considéré comme meilleur que le français familier, populaire ou québécois.

Le deuxième ensemble de recherches rapportées par Chambers et Trudgill (1980 : 71 et 82) aboutit à la conclusion que les groupes sociaux, même s'ils utilisent dans des proportions différentes les variantes linguistiques, concordent tous pour utiliser davantage les mêmes variantes en fonction des changements de situations de communication. Ainsi dans les situations plus formelles, les sujets de tous les groupes tendent à augmenter leur utilisation des variantes de statut social élevé. Cette tendance semble même plus prononcée chez les sujets appartenant à des groupes sociaux économiquement inférieurs.

En somme, le français parlé présente plusieurs usages acceptés et, par conséquent, plusieurs normes. Un ensemble de variantes apparaît comme socioculturellement valorisé particulièrement dans les situations plus formelles de communication.

1.2 L'intercomprehension malgré la variation

À travers et malgré les nombreuses variations d'usage, on constate aisément que dans l'ensemble de la francophonie il existe une intercompréhension fréquente entre des interlocuteurs issus de pays francophones différents ou de groupes sociaux différents. Sur quoi peut reposer cette intercompréhension, sinon sur le fait que tous partagent une même langue, le français? Malgré l'impossibilité reconnue de définir de façon satisfaisante cette notion de langue française, ou de toute langue en général, à cause principalement de ce que Chambers et Trudgill appellent « the geographical and social dialect continuum » (1980 : 6-14), il importe d'essayer d'identifier les éléments qui expliqueraient l'intercompréhension. Il s'agirait de l'existence d'un français commun, de la présence de représentations abstraites qui soient les mêmes malgré les variations de surface et de l'existence, chez les individus, d'un répertoire assez étendu de ces variantes.

D'abord, on peut postuler l'existence d'un français commun pouvant se réaliser quant à l'aspect de la réception des messages et quant à l'aspect de production des messages. Ainsi Lagane (1976 : 19) propose de définir le français commun comme « l'ensemble des moyens d'expression connus pratiquement de la totalité des Français adultes », ce qui n'implique pas, selon lui, qu'ils soient utilisés par tous, « ni jugés bons par tous, ni qu'ils puissent apparaître dans n'importe quelle situation de communication ».

Au niveau de la production, on peut postuler l'existence d'un certain nombre de réalisations linguistiques qui soient communes à plusieurs usages différents. Ces réalisations constitueraient une sorte de français neutralisé, c'est-à-dire la « moyenne des emplois actuels, une fois rejetés les écarts les plus grands » (Dubois, 1965 : 5). Ainsi, concernant la variété des systèmes phonologiques en français, Walter (1977 : 23-57) dégage ce qu'elle appelle un « système moyen » à partir de la description du système phonologique de chacun de ses dix-sept informateurs. Le domaine lexical se présente différemment Mais l'utilisation du terme générique plutôt que du terme spécifique « permettrait peut-être, selon l'hypothèse de Germain (1981 : 149), d'expliquer la réussite de la communication entre deux personnes dont l'une ignore un mot que l'autre connaît », ce mot étant un terme spécifique véhiculant ce que Germain appelle un « point de vue ».

Dans une perspective différente, d'autres parlent de « l'ensemble des règles de profondeur qui constituent le noyau dur de la langue; ce qui fait par exemple que le français n'est pas l'anglais ou le wolof... ll s'agit donc d'un niveau de grande abstraction, où sont neutralisées les variantes géographiques et sociolinguistiques » (Corbeil, 1980a : 47). Ainsi Laks (1977 : 122), dans une étude sur la non-conservation du phonème /r/ dans les groupes consonantiques finals chez six locuteurs français, a pu postuler l'existence de ce qu'il appelle une « règle pan-dialectale » quant à la stratification sociale qui fait que c'est la même règle qui s'applique, ne s'applique pas ou s'applique différemment. De même Daoust-Biais et Niéger (1979), dans une étude sur les écarts de position de /tUt/ en français québécois par rapport au français « standard », observent que chacun des dialectes détermine différemment l'application des règles d'enclitisation, mais qu'il s'agit du même ensemble restreint de règles.

La très grande fréquence de l'intercompréhension malgré les variations d'usages appuie l'hypothèse double de l'existence à la fois d'usages communs suffisamment nombreux et d'une « base » linguistique intériorisée suffisamment semblable. Certains travaux contribuent cependant à minimiser ces faits en mettant l'accent sur les différences. Ainsi, les ouvrages visant l'identification des écarts (listes d'anglicismes, de dialectologismes, de néologismes, etc. ), faussent nécessairement et sans le vouloir la perspective d'ensemble. Chaque fois qu'il y a intercompréhension — et c'est ce qui arrive le plus souvent — entre des interlocuteurs d'une même langue mais d'origine sociale ou géographique différente, c'est parce que les éléments communs sont plus nombreux que ceux qui sont particuliers.

Le fait que chaque locuteur possède un répertoire de variantes interchangeables à sa disposition constitue un troisième élément contribuant à l'intercompréhension entre les locuteurs français. Il est connu depuis longtemps qu'un locuteur possède un répertoire dit « passif » d'unités linguistiques beaucoup plus étendu que son répertoire dit « actif ». En d'autres termes, on comprend beaucoup plus de mots et de structures que l'on en utilise soi-même. Ainsi un locuteur québécois francophone comprend très bien la phrase : « je ne sors pas quand il pleut », alors qu'il dirait spontanément dans une situation de communication non formelle : « j'vas pas dehors quand i mouille » ou « j'reste dans maison quand qu'i mouille », etc.

En somme, il y a deux compétences distinctes, mais reliées : celle de l'entendu et celle du produit (Encrevé, 1977 : 51). Une des clefs de l'inter compréhension consiste justement dans la richesse du répertoire linguistique passif des usagers d'une même langue. On peut d'ailleurs penser que la coexistence intégrée de si nombreuses variations est facilitée par la proportion importante d'éléments communs partagés par les différents usagers, que ce soit des éléments de surface ou des éléments de représentation abstraite.

On peut également affirmer que plus le répertoire d'un individu est étendu et plus il sait l'utiliser, plus sa compétence est grande. C'est dans ce sens que Winkin (1979) a pu proposer « l'hypothèse d'une compétence minimale parmi les membres issus des classes supérieures et d'une compétence maximale parmi les membres issus des classes populaires passés par tous tes stades de l'inculcation scolaire et socioprofessionnelle »! La compétence d'un locuteur ne se mesure pas uniquement à sa maîtrise de la variété et du registre considérés comme standard, mais aussi par sa maîtrise des autres variétés et registres, de même que par son habileté à utiliser la langue pour réaliser différentes fonctions.

1.3 Les fonctions communautaires et individuelles du langage

La présence d'un répertoire d'éléments linguistiques variés alliée à l'habileté à les utiliser pour atteindre les différents objectifs poursuivis par l'homme sont partie constitutive de ce que l'on peut appeler la « faculté de langage ». À l'instar de toutes les autres facultés humaines comme la mémoire ou l'intelligence, le langage est appelé à servir différentes fonctions, d'ordre individuel et, plus particulièrement dans le cas du langage, d'ordre communautaire. Une étude rapide de ces fonctions s'impose pour replacer la langue dans la perspective de ses finalités, ce qui devrait permettre d'apporter un éclairage élargi sur la question de la norme et de faire ressortir des implications importantes pour la pédagogie du français.

La langue constitue un des facteurs-clefs de l'existence et de la définition des communautés, un élément essentiel d'identification nationale. Ainsi, le nom ethnique d'un groupe coïncide souvent avec le nom de sa langue. Au Québec, par exemple, le français joue un rôle-clef pour la collectivité francophone dans la définition de son identité par rapport à l'Amérique du Nord anglophone. Facteur d'identité nationale, la langue joue le rôle de support et de catalyseur à l'expression de la culture et des valeurs d'une collectivité. La sensibilité particulière des Québécois face aux anglicismes révèle l'importance qu'ils accordent à la langue. En somme, la langue a une existence communautaire et constitue un bien collectif qu'il faut protéger et développer. Les tentatives d'aménagement linguistique du Québec reposent de toute évidence sur le rôle communautaire du français (Corbeil, 1980b).

Ces tentatives tiennent compte de « la distinction entre communication individualisée et communication institutionnalisée » proposée par Corbeil (1980b : 78-81). La première est définie comme l'acte personnel par lequel un individu entre en communication avec un autre grâce au langage. À l'intérieur des usages existants, l'individu y jouit d'une certaine liberté par rapport aux variantes qu'il utilise. La communication institutionnalisée signifie l'acte souvent anonyme ou impersonnel par lequel une institution entre en relation avec des individus, des groupes ou d'autres institutions. L'individu qui fait ainsi usage de la langue à titre public jouit d'une liberté moins grande, car il engage la responsabilité de l'institution qu'il représente et qui se doit d'utiliser une langue standard.

La langue d'une communauté lui permet par ailleurs d'entrer en communication avec les autres communautés qui utilisent la même langue. Plus cette langue est internationale, plus la communauté a directement accès aux informations technologiques, scientifiques et culturelles de l'humanité. Cette accessibilité revêt une importance certaine pour le développement d'une communauté donnée.

Pour les individus, la langue sert à plusieurs fonctions. Aux fins de cet article, il n'est pas nécessaire de passer en revue les différentes taxonomies existantes (par exemple, Jakobson, 1963; Britton, 1972; Halliday, 1973; Tough, 1974; Wight, 1976; Valiquette, 1979; etc.), ni d'être exhaustif quant aux fonctions. La langue remplit de toute évidence une fonction de communication qui permet aux individus de communiquer entre eux. Cette fonction repose sur la possibilité de l'intercompréhension et suppose nécessairement un code commun, un ensemble de variantes partagées. Également évidente, quoique sa nature soit moins bien définie, la fonction idéationnelle (ou, en d'autres termes, cognitive, heuristique, référentielle) du langage permet de nommer et de conceptualiser l'univers et aide à le comprendre. Sans entrer dans le débat qui oppose en particulier des générativistes et des fonctionnalistes quant à la primauté de l'une sur l'autre, on peut considérer la fonction de communication et la fonction idéationnelle comme les deux plus importantes.

D'autres fonctions secondaires, plus ou moins reliées à celle de la communication ou à la fonction idéationnelle, sont bien connues. La fonction expressive est centrée sur la satisfaction de s'exprimer ou de se dire. La fonction esthétique, reliée davantage à des manifestations d'ordre artistique, permet d'utiliser la langue à des fins esthétiques ou stylistiques. La fonction ludique utilise la langue comme un jeu. La fonction « relationnelle » (plus large que la fonction phatique de Jakobson) vise à maintenir et à développer les contacts entre individus. La fonction métalinguistique, largement privilégiée à l'école traditionnelle par l'importance accordée à la grammaire, consiste à utiliser la langue pour parler de la langue elle-même et la décrire.

Une dernière fonction est celle de l'intégration sociale de l'individu. Ce dernier, par les valeurs référentielles et culturelles que le langage véhicule et les communications qu'il permet, s'intègre à la famille, au groupe d'amis, au quartier et à la collectivité. C'est par ethnocentrisme, soutient Deprez (1981) que les Québécois, malgré qu'ils jugent souvent de façon plus favorable le français de France ne peuvent, ni ne veulent le parler; réaction qu'il compare à celle des Belges flamands par rapport au néerlandais. De même, c'est par souci d'intégration sociale au groupe environnant que des Noirs américains ou des adolescents québécois vont volontairement utiliser des variantes linguistiques condamnées ou ridiculisées par d'autres groupes sociaux, leurs parents ou l'école.

Sans entrer dans la discussion sur le caractère plus ou moins central de la fonction de communication, il y a lieu de souligner d'abord que cette fonction n'est pas unique, ni exclusive et que l'on peut utiliser la langue sans la présence nécessaire d'un interlocuteur autre que soi-même. Par ailleurs, cette fonction joue un rôle ambigu dans la mesure où la communication devient un moyen de réaliser d'autres fonctions : idéationnelle, ludique, expressive ou autres.

Une implication importante de ces considérations sur les fonctions est que les variations de fonctions peuvent provoquer des variations des éléments linguistiques utilisés soit à cause des intentions poursuivies par le locuteur soit à cause des types de discours impliqués ou des stratégies discursives utilisées. Par exemple, Valiquette (1979) réussit à suggérer des probabilités plus grandes d'occurrences d'éléments linguistiques en fonction des types de discours retenus. Ainsi, la fonction expressive, centrée sur l'émetteur et l'expression de sa subjectivité, fera souvent appel à des énoncés à la première personne, à des verbes exprimant jugements et opinions, à des interjections et exclamations (Valiquette, 1979 : 89). La fonction informative, centrée sur les « faits » et l'expression de l'objectivité, aura par contre Tendance à produire un discours marqué par l'effacement de je et un fort taux de tournures impersonnelles, de pronoms neutres, de nominalisations (Valiquette, 1979 : 124).

Une deuxième conséquence de la prise en compte des fonctions du langage est de mettre en évidence le fait que la langue n'est pas une fin en soi, mais un moyen privilégié d'atteindre des fins plus essentielles à l'homme et à l'humanité. Une telle constatation permet de relativiser le rôle du code et, par là, l'importance du point de vue normatif.

La perspective fonctionnelle propose que le code ne constitue qu'un aspect de l'acte langagier. Ce nouveau concept, parce qu'il prend en compte non seulement l'acte linguistique, mais aussi son adaptation à la situation de communication et les fonctions qu'il veut atteindre, constitue une notion plus large et plus significative dont la pédagogie de la langue maternelle aura à tenir compte. En effet un acte langagier, même s'il n'utilise pas le code normatif, sera de qualité s'il atteint les fonctions pour lesquelles il est réalisé.

1.4 Le langage des enfants

L'enfant qui entre à la maternelle ou à l'école à quatre, cinq ou six ans a déjà développé une compétence linguistique impressionnante. Cette compétence fait souvent l'envie des étrangers adultes en train d'apprendre plus ou moins péniblement ce qui semble être si facile à l'enfant dont c'est la langue maternelle. Certains chercheurs, dont McNeill par exemple (1966 : 99), affirment même que l'enfant a terminé l'apprentissage des structures linguistiques fondamentales dès l'âge de cinq ans et d'autres croient, à tort, que l'apprentissage de l'oral peut être considéré dès lors comme terminé.

Ainsi, l'enfant normal de n'importe quel milieu socio-économique maîtrise bien, à cinq ans ou même avant, l'accord de l'adjectif épithète ou attribut, comme l'attestent les phrases du type [jegRã] il est grand ~ [gRãd] elle est grande employées spontanément et couramment. L'usage de ces phrases révèle la maîtrise, d'une part, de la règle fondamentale de l'accord oral en genre de l'adjectif et, d'autre part, de la morphologie orale du genre de l'adjectif grand. Or, le système morphologique oral du genre n'est pas moins complexe que celui de l'écrit et la nature de l'accord est la même dans les deux cas. Comment se fait cet apprentissage?

Le développement du langage chez les enfants d'âge préscolaire ne repose en rien sur la compréhension ou la mémorisation de règles morphologiques ou morphosyntaxiques explicites. Les recherches sur cette question indiquent qu'un certain nombre de facteurs concourent à ce développement. Voici quelques-uns des plus importants :

  • présence du langage dans le milieu ambiant,
  • stimulation et renforcement des adultes,
  • activités langagières nombreuses de la part de l'enfant,
  • activités langagières motivées par des besoins et des fonctions authentiques de l'enfant.

L'activité langagière de l'enfant est centrale dans tout le processus et amène progressivement l'intégration inconsciente des règles de fonctionnement du système linguistique. Une des thèses importantes développées par les chercheurs, dont notamment Halliday (1975), soutient que le développement du langage chez l'enfant se fait par l'utilisation du code pour réaliser les fonctions langagières qui sont importantes et significatives pour lui.

C'est à travers l'utilisation du langage que l'enfant intègre les mécanismes de fonctionnement du code linguistique. L'usage ambiant constitue le modèle linguistique qu'il s'approprie progressivement. L'appropriation des variantes linguistiques privilégiées par le milieu social et géographique dans lequel vit l'enfant témoigne donc d'un bon degré de maturation linguistique.

Ainsi une phrase comme [mtyjale] m'as-tu y aller ne révèle pas une erreur de l'enfant qui l'émet, comme certaines analyses d'orientation normative ont pu le laisser croire. Cette phrase n'indique pas non plus un retard dans le développement du langage de l'enfant, comme certains diagnostics d'inspiration orthopédagogique auraient tendance à l'affirmer. Au contraire, elle révèle que l'enfant a réussi à intégrer l'usage linguistique de son milieu et qu'il ne souffre pas davantage de retard que l'adulte québécois qui utilise couramment cette phrase dans des situations de communication non formelles.

De fait, il s'agit d'une variante linguistique dont l'utilisation est reliée à des facteurs géographiques, sociaux et situationnels. Comme l'indiquent Gagné et Barbaud (1981 : 57-58), une partie des performances verbales des enfants québécois de six-sept ans témoigne du langage oral ambiant; d'une part, dans ses éléments plus dialectaux comme l'énoncé ci-haut mentionné et, d'autre part, dans ses éléments plus communs à l'ensemble de la francophonie, tels qu'attestés abondamment par l'enquête de Méresse-Polaert (1969) auprès d'enfants français du même âge, comme la non-présence du ne négatif, l'utilisation du [i] comme pronom masculin de la troisième personne du singulier ou l'emploi du pronom on au sens de nous.

Par contre, d'autres éléments des performances linguistiques des enfants semblent révéler une non-maîtrise des règles de grammaire et du langage adulte ambiant Il s'agit d'éléments comme [feze] faisez, [st] sontaient que l'on peut considérer comme typiques de ce qu'on appelle en général le « langage enfantin ». Les études sur le développement du langage des enfants témoignent de l'abondance et de l'universalité de ce type de performances linguistiques. Alors que l'enfant entend peu ou pas ce genre de production, il peut paraître surprenant de constater qu'il emploie de telles formes, fréquentes, semble-t-il, entre 6 et 11-12 ans.

On sait que ces productions sont dues à une généralisation des règles morphologiques verbales. Elles constituent des indices importants que l'apprentissage naturel d'une langue ne se fait pas uniquement par imitation. Elles témoignent aussi d'un apprentissage, en train de se faire, des généralités morphologiques. Cette phase de généralisation est non seulement normale mais nécessaire. Ce n'est qu'une fois que les règles générales sont bien intégrées que l'enfant peut acquérir la maîtrise des phénomènes comme faites et étaient qui constituent de fait des exceptions aux règles, c'est-à-dire des « erreurs » grammaticales.

Cohen (1962 : 24) note, à ce sujet, que « de génération en génération, certaines de ces raisonnables rectifications enfantines tendent à remporter la victoire sur les rectifications mécaniques des adultes à (égard des enfants et à s'installer dans le langage commun. C'est ainsi que le français a passé de l'ancien j'aim, nous amons au moderne j'aime, nous aimons ». Il est par ailleurs intéressant de constater que ces structures enfantines, doublant et régularisant en quelque sorte la langue considérée comme standard, se retrouvent aussi dans d'autres variétés de français comme le français populaire et les français créoles. Elles se manifestent fréquemment aussi dans l'apprentissage du français par des étrangers (foreigner talk). La convergence de ces tendances montre « l'existence dans le système français de points sur lesquels tendent en permanence à se produire des évolutions » (Chaudenson, 1978 : 88). En somme, les éléments probablement les plus persistants du langage enfantin constituent des points d'évolution potentielle du système linguistique conventionnel.

Des études sur la langue parlée des enfants québécois (Pagé et Comeau, 1981; Pierre-Joly, 1981; Comeau et Pagé, 1981) n'indiquent aucune ou peu de différences significatives dans la production et la compréhension de structures syntaxiques chez des enfants de milieux socio-économiques différents, mais de niveau égal de fonctionnement intellectuel. De même, Baillargeon et Leduc (1981), Rondal, Adrao et Neves (1981) n'ont pas trouvé de différences significatives chez des enfants de cinq-six ans de milieux socio-économiques différents dans la compréhension du langage des enseignants. Les seules différentes inter-milieux rapportées l'ont été au niveau lexical par Gratton et Barbaud (1981) et Primeau et Labelle (1981) mais, dans les deux cas, par rapport à un vocabulaire désigné comme standard.

Ces études semblent confirmer que les variations linguistiques se situeraient généralement surtout aux niveaux lexical et phonétique plutôt qu'aux niveaux syntaxique et morphologique. Elles contribuent surtout, comme plusieurs autres recherches faites depuis une dizaine d'années aux États-Unis et ailleurs, à jeter le discrédit sur la thèse, populaire durant les années soixante dans l'éducation américaine, du déficit linguistique des enfants de milieux défavorisés. En effet, à ethnicité identique et à niveau égal de fonctionnement intellectuel, dans des tâches expérimentales semblables et en comparant les performances verbales des enfants entre elles sans référence à une variété standard pour les tâches de production, les résultats des études québécoises ne montrent pas de différence inter-milieux quant à la syntaxe, tant du point de vue du langage réceptif que du langage actif (Pagé, 1981).

De même, au terme d'une étude longitudinale menée auprès d'enfants britanniques de trois à sept ans, Tough (1977), après avoir relevé des différences quantitatives d'ordre linguistique chez des enfants de milieux socioéconomiques différents, n'en conclut pas au déficit linguistique des enfants de milieux défavorisés. Elle affirme plutôt que les enfants de ces milieux ont des habiletés linguistiques plus grandes que ce que leurs performances ont révélé, comme l'indiquent les variations de stimulations lors des entrevues.

Selon elle, la plus grande différence entre les enfants de groupes socioéconomiquement avantagés et ceux de groupes moins avantagés a consisté dans les aptitudes plus grandes des premiers à utiliser la langue pour des fins particulières, comme se rappeler et donner des détails d'une expérience passée, anticiper des événements futurs et en prévoir l'aboutissement, imaginer des scènes, etc. En d'autres termes, cette étude indique que les différences sont plus importantes au niveau de l'utilisation de la langue plutôt qu'au niveau de la langue elle-même. Elle suggère enfin que les différences inter-milieux relevées au niveau du code seraient une manifestatin des différences observées par rapport à son utilisation.

Les performances d'ordre linguistique des enfants n'en représentent pas moins des variations interindividuelles, qui sont cependant surtout reliées à des variables comme l'âge et la maturation, le niveau de fonctionnement intellectuel et la scolarisation (Gagné, 1981b). Une question intéressante se pose, à savoir si les enfants, à l'instar des adultes, peuvent varier leurs performances linguistiques.

Dans les recherches expérimentales faites sur le langage des enfants, les performances, comme chez les adultes, semblent varier chez le même individu en fonction de la tâche demandée. De fait, les enfants, même très jeunes, se montrent capables de faire des choix linguistiques. Ainsi Shatz et Gelman (1973) ont montré comment la longueur des phrases employées par des enfants de quatre ans change selon qu'ils parlent avec des enfants de deux ans, des enfants du même âge qu'eux ou des adultes. De même, Garvey et Bendebba (1974) ont trouvé que le nombre d'énoncés d'enfants de trois à six ans varie en fonction du nombre d'énoncés de leur interlocuteur, ce qui démontre selon eux une certaine capacité à s'adapter aux caractéristiques de ce dernier.

Labov (1977 : 60) a trouvé chez son enfant de 3 ans et 10 mois une très grande proportion (22 sur 26) d'inversions dans les questions avec why3 dans un jeu de questions mené par ses parents et une proportion inverse (13 inversions sur 292 questions) en dehors de ce jeu. Beaudichon (1978) a conclu que l'efficacité de la communication des enfants de 5 à 13 ans s'accroit grâce à quatre facteurs, dont la représentation des caractéristiques de l'interlocuteur et l'anticipation de celles-ci.

Selon Asher (1979), il ressort des recherches sur les communications enfantines que les enfants, même d'âge préscolaire, se rendent compte des caractéristiques des interlocuteurs et essaient d'en tenir compte. De son côté, Gambell (1981) a trouvé que des enfants anglophones de 6e année primaire témoignent d'un répertoire de language roles, qualifiés de formel et d'informel, qu'ils utilisent en fonction des variations de situations de communication dans le contexte scolaire. Il a identifié des variantes linguistiques, comme des contractions, des compactions, des truncations et la longueur des unités syntaxiques qui peuvent servir d'indices de registre.

Ces brèves constatations permettent de mettre en évidence l'importance du rôle des interactions verbales dans le développement du langage, de démontrer que le langage des enfants ne peut pas être considéré comme déviant et que ces derniers semblent capables de faire des choix de variantes linguistiques en fonction des interlocuteurs et du caractère plus ou moins formel des situations de communication.




3 Why are you wearing sunglasses? comparé à why you wearing hair? [retour au texte]




1.5 Les interactions verbales : moyen d'enseignement et d'apprentissage

En salle de classe, le langage, en plus d'être un objet et un objectif d'apprentissage, constitue un moyen privilégié d'apprentissage. De nombreuses recherches britanniques, dont en particulier celles de Wells (1981), Tough (1979) et Bames (1975), font ressortir le rôle central de la communication et plus particulièrement de la conversation dans le développement intellectuel et social des enfants de même que dans leurs apprentissages scolaires.

Selon Tough (1979), le dialogue avec les autres enfants et surtout avec le professeur peut être l'expérience la plus importante pour le développement de la pensée et constitue par conséquent un outil précieux. d'enseignement et d'apprentissage. La thèse centrale de Wells (1981) est que la conversation fournit le contexte naturel du développement du langage et que l'enfant apprend en explorant le monde par les interactions verbales qu'il entretient avec les autres personnes. La qualité de son apprentissage dépend donc de la contribution de chaque participant à l'interaction et particulièrement des stratégies que les adultes utilisent pour développer et prolonger les contributions de l'enfant.

Le dialogue est également un puissant moyen de relation interpersonnelle entre l'enseignant et l'enfant. La qualité de la relation affective et personnelle entre l'enseignant et l'enfant constitue un facteur important de la motivation et des attitudes de l'un et de l'autre. L'importance de ces deux éléments et de l'interinfluence réciproque des deux partenaires est reconnue depuis longtemps pour la réussite des apprentissages scolaires.

Cette perspective, de même que les considérations préalables qui viennent d'être faites à propos de la variation linguistique, des fonctions du langage et du langage enfantin, peuvent-elles s'accommoder d'un enseignement normatif qui refuserait d'utiliser le langage spontané de l'enfant comme instrument de dialogue favorisant les interactions humaines et pédagogiques? L'acceptation du langage de l'enfant signifie-t-elle, par contre, que l'école ne propose pas d'objectifs d'ordre linguistique? Cette problématique fait partie de toute évidence des relations entre la question de la norme et celle de l'enseignement de la langue maternelle.

2.

La norme et l'enseignement de la langue maternelle : deux orientations

Les manuels, les méthodes et les démarches d'enseignement de la langue maternelle sont variés et nombreux. Ils peuvent différer par leurs objectifs, leurs moyens, leur programmation, leurs exercices, le rôle assigné au professeur, le type de participation de l'élève et par bien d'autres aspects. Par rapport à la question de la norme linguistique, il est possible de regrouper les activités d'enseignement de la langue maternelle selon deux orientations majeures : une « pédagogie de la langue » ou une « pédagogie de la parole » (Gagné, 1980).

De conception plus prescriptive, la première orientation est centrée sur le code. La deuxième orientation, plus descriptive et plus fonctionnelle, est centrée sur l'utilisation du code. Un tel regroupement oblige à opérer une polarisation de tendances malgré qu'elles se situent en réalité sur un continuum. Il permet cependant, à l'aide des concepts préalables que nous avons définis, de mieux dégager les limites de chaque tendance.

2.1 Pédagogie prescriptive centrée sur le code

En général, la pédagogie centrée sur le code linguistique repose sur une perspective de la qualité de la langue qui est normative et souvent puriste. Cette perspective, centrée sur l'écrit, conçoit la langue comme un code homogène, unique et intrinsèquement supérieur : celui qui est décrit dans les dictionnaires et les grammaires. L'objectif prioritaire sinon unique qu'elle vise consiste à faire acquérir ce code. C'est en général la pédagogie traditionnelle avec laquelle des générations de francophones ont appris leur langue.

Il y a d'abord lieu de s'interroger sur les objectifs de l'enseignement du français oral dans une pédagogie ainsi centrée sur le code écrit. Il est socialement normal que les parents, la société en général et le système scolaire fixent comme objectif à l'enseignement de l'oral — quand cet enseignement existe — d'apprendre à l'enfant à s'exprimer dans un bon français ou dans le français le meilleur qui soit. Étant donné le constat que nous avons fait de la diversité des usages et de l'absence d'une norme orale codifiée, on est en droit de se demander ce que recouvre ce concept de bon français oral. On remarque que les définitions en sont rares, sinon inexistantes.

Il s'agirait d'une sorte de cliché, d'image mentale collective assez floue qui, au Québec, se concrétise souvent en référence à la langue parlée sur les ondes par les annonceurs de Radio-Canada. Les approximations que l'on peut faire du concept renvoient effectivement à une notion de bon usage qui serait une sorte d'oralisation de récrit, une sorte de lecture à haute voix; ce qui ne respecte pas la spécificité linguistique et langagière du français oral.

Le bon usage oral n'est pas celui de « la plus saine partie de la cour » du temps de Vaugelas, ni même celui des classes dirigeantes mais plutôt celui que ces dernières apprécient le plus et « qui n'est pas forcément le leur » (Rey, 1972 : 21). Il s'agit d'un type d'usage idéalisé, qui n'existerait d'ailleurs que dans certaines situations plus formelles de communication et qui est valorisé selon Rey par « ceux qui s'arrogent le monopole du discours de la culture ». Selon lui, en France, cet usage est celui de l'écriture et de l'écriture littéraire. C'est, en somme, l'usage écrit transposé directement à l'oral que la pédagogie centrée sur le code a souvent tendance à valoriser de façon absolue, sanctionnant et perpétuant en même temps le mythe du bon français unique.

La promotion d'un tel usage érigé en norme s'accompagne généralement d'attitudes prescriptives et puristes qui se traduisent par la condamnation des autres usages. Ces attitudes résultent peut-être en partie de la nécessité inconsciemment ressentie par l'école du choix exclusif d'un seul usage. La tendance de la pédagogie traditionnelle à se fermer aux usages oraux s'explique aussi par les préjugés sociaux défavorables que le purisme entretient à l'égard de ces usages et de ceux qui les utilisent. L'ouverture de l'école à ces usages réels est perçue comme dangereuse, car cela risquerait sans doute de remettre en cause l'existence et l'intérêt d'un seul français oral, reproduction du français écrit. Si, de ce point de vue, l'école s'écarte et se retranche de la réalité sociale dont elle fait partie, c'est sans doute, d'une part, par souci d'une normalisation fondée sur la vision simpliste et moralisante d'un bon et d'un mauvais français et, d'autre part, aux fins de changement du niveau d'une population donnée, considérée à tort comme linguistiquement sous-développée.

Il y a lieu de dénoncer, en plus de ses fondements inacceptables, quelques conséquences négatives de cette orientation. D'abord, l'imposition d'une norme artificielle à la parole orale favorise une pédagogie qui peut difficilement permettre aux écoliers de développer leur maîtrise des fonctions et des usages divers de la langue parlée. Théoriquement, cela ne les habilite au mieux qu'à lire un texte écrit à haute voix, une fois qu'ils ont appris à lire. Il faut bien reconnaître que, à l'extérieur de l'école, cette activité ne se réalise que rarement pour la très grande majorité des personnes, ce qui ne peut justifier l'importance accordée au développement de cette habileté.

Cette norme artificielle présente une difficulté supplémentaire dans l'apprentissage de la lecture. En effet, à cause de l'écart entre la performance linguistique orale spontanée de l'enfant et le texte écrit, même de niveau correct, écart largement augmenté quant il s'agit de la plupart des textes de niveau littéraire, on voit mal comment le recours à l'écrit oralisé pourrait faciliter les débuts de l'apprentissage de la lecture. D'une part, en effet, lire ne consiste pas à oraliser ou à subvocaliser un texte écrit, mais à en trouver directement le sens (Smith, 1971). D'autre part, l'enfant fait deux apprentissages à la fois : il apprend à utiliser activement un oral soutenu en même temps qu'il essaie de trouver un sens à l'ensemble de lettres et de mots écrits qu'il a sous les yeux. « Pour la plupart des enfants, conclut Labov (1974 : 104), la stratégie la plus efficace pour apprendre à lire consiste à ajuster l'enseignement au système phonologique de l'enfant et non l'inverse ».

Dans une pédagogie centrée sur le code, l'école considère habituellement que la langue parlée non seulement par l'enfant mais également par la société environnante qui lui a servi de modèle linguistique naturel est inacceptable et devrait être rejetée. Elle entreprend alors un effort de déracinement qui ne peut réussir, imparfaitement d'ailleurs, qu'auprès d'une minorité d'enfants. Une telle tentative risque de conduire soit à l'aliénation sociale de l'individu soit à un rejet plus ou moins grand et plus ou moins explicite de l'école de la part des enfants et particulièrement des adolescents.

Une telle approche contribue également à la discrimination des enfants des classes sociales défavorisées, dont les performances linguistiques, sans être inférieures, sont en général plus éloignées des performances standard exclusivement privilégiées par l'école. Cette discrimination apparaissait déjà comme arbitraire et injuste dans la théorie du déficit linguistique de ces enfants, théorie en vigueur durant les années cinquante et soixante. Elle devient encore plus injustifiée dans la perspective des différences linguistiques mises de l'avant par les recherches psycholinguistiques des années soixante-dix.

L'orientation normative conduit très souvent à une pédagogie centrée sur la langue et à une programmation atomistique et artificielle des éléments linguistiques à enseigner. L'effort pédagogique porte alors sur les formes linguistiques plutôt que sur le sens véhiculé ou les fonctions des messages. On dissocie ainsi l'outil de sa fonction, et l'activité langagière de son sens. Une telle dissociation ne favorise pas l'intégration des variantes enseignées ni la motivation à lire, à écrire ou à s'exprimer oralement.

La centration sur le code plutôt que sur son utilisation conduit de la sorte à ne pas utiliser deux facteurs importants de tout apprentissage langagier : l'activité langagière de l'enfant et sa compétence linguistique.

Petiot et Marchello-Nizia (1972 : 111) soulignent que dans la plupart des ouvrages de grammaire « l'élève n'apparaît que comme le destinataire des impératifs qui annoncent les exercices »... et qu' « il arrive cependant très rarement que l'élève soit cité en tant que locuteur : mais c'est toujours pour être condamné comme auteur de phrases incorrectes ». Une telle pratique repose sur une certaine passivité des élèves, implicitement considérés par ailleurs comme ayant des performances linguistiques homogènes. Pourtant les études sur le développement du langage démontrent que ce développement est le produit de communications voulues et désirées entre les enfants et les personnes de leur environnement « Use of language proceeds from intention to convention » conclut McShane (1981), alors que l'école procède malheureusement à l'inverse, c'est-à-dire des conventions linguistiques aux intentions de communication; intentions de plus, presque toujours artificielles et imposées ou suggérées par le maître.

L'école centrée sur le code a trop souvent tendance à ignorer ou à dévaloriser, parce que non conforme à la norme puriste, le langage de l'enfant qui arrive à l'école. Centrée exclusivement sur une langue mythique idéalisée, elle considère tout écart à l'écrit oralisé comme une faute ou une erreur. Cette conception qui s'exprime en termes de moralité ou de logique ne résiste pas à l'analyse, du moins en ce qui concerne le langage oral des enfants d'âge scolaire. En effet, les écarts relevés dans les discours des enfants tiennent, comme nous l'avons vu, à deux types de causes possibles : l'appropriation de la langue pariée par les adultes du milieu ambiant ou l'apprentissage en cours des règles du système linguistique. Dans un cas comme dans l'autre, ce langage ne peut être déprécié ni d'un point de vue moral, ni d'un point de vue logique.

Ce point de vue négatif fait oublier à la pédagogie centrée sur le code que l'enfant normal de quatre-cinq ans a développé une compétence linguistique impressionnante, comme le démontrent ses réalisations de l'accord oral en genre de l'adjectif attribut. Pourtant, à la fin de six années de scolarisation, plusieurs enfants ne maîtrisent pas dans leurs textes écrits les règles d'accord simple et la morphologie écrite des adjectifs courants. N'est-ce pas étonnant? Dans un cas, l'apprentissage s'est fait par l'utilisation du langage en situation de communication. Dans l'autre, l'école veut qu'il se fasse à partir d'un apprentissage explicite de règles de grammaire et d'un raisonnement hypothético-déductif dont l'inutilité pour l'enfant du primaire apparaît clairement.

Pour s'en rendre compte, on n'a qu'à rappeler le déroulement schématique du raisonnement proposé pour savoir comment écrire le mot « bleu » dans la phrase : « La nuit est bleue. »

Questions

Réponses

1. Quelle est la nature du mot bleu? Adjectif qualificatif.
2. Comment s'accorde l'adjectif qualificatif? En genre et en nombre avec le mot qu'il qualifie4.
3. Quel mot bleu qualifie-t-il? Le mot nuit.
4. Quels sont le genre et le nombre de nuit? Féminin singulier.
5. Comment se marque le féminin de bleu? En ajoutant -e à la fin.
6. Comment doit-on alors écrire bleu? Bleue.


Une pédagogie de l'écrit serait sans doute plus efficace si, plutôt que de condamner les variantes légitimes des enfants ou leurs généralisations langagières normales et de partir alors de textes d'auteurs et de grammaires abstraites, elle s'appuyait d'une part sur les éléments communs au code oral et écrit déjà maîtrisés par les enfants et d'autre part sur les discours de ceux-ci. L'enfant du primaire comprend en effet très facilement que bleue prend un -e puisque à l'oral il dirait : « la nuit est belle » et non pas « la nuit est beau ».




4 Pour simplifier, on a omis ici les notions d'attribut et d'accord de l'attribut. [retour au texte]




Enfin, la perspective centrée sur le code accentue et met en relief les fautes d'orthographe faites par les enfants ou, à ce titre, par les usagers en général. Elle développe une tendance plus ou moins marquée à ne repérer que les écarts par rapport à la norme et à ne pas s'intéresser aux parties des performances qui sont conformes à la nomme. Il s'agit trop souvent d'une pédagogie de la faute et d'un enseignement uniquement prescriptif. Cette tendance contribue à diminuer l'importance du contenu et des fonctions (expression, communication, etc.) en mettant l'accent sur la correction orthographique. Pour que l'enfant ne commette pas de fautes, on utilise abondamment la dictée et la copie du modèle, centrée sur le code et non sur son utilisation, qui est ainsi absente ou indûment retardée.

Cet éclairage négatif favorise à intervalles plus ou moins réguliers, de génération en génération et dans plusieurs pays, l'éclatement de « crises » concernant la qualité de l'enseignement de la langue maternelle. À ce sujet, Hopper (1975) a retrouvé des textes de 1933, 1905, 1730 et 1689 qui critiquent l'insuffisance des connaissances orthographiques et linguistiques des enfants qui sortent des écoles ou des collèges! Aussi longtemps qu'il n'y aura pas simplification de l'orthographe, les fautes d'orthographe continueront à exister chez les enfants et... chez les adultes. Et tant que l'on restera dans une perspective sociale et pédagogique centrée sur le code, les générations d'adultes oublieront les difficultés d'apprentissage qu'ils ont eues et leurs propres fautes d'orthographe pour critiquer la qualité de l'enseignement du français donné à leurs enfants.

Ces considérations et d'autres expliquent la remise en question, depuis une dizaine d'années, de la pédagogie traditionnelle de la langue maternelle et le rejet de ses fondements linguistico-normatifs. À une pédagogie de la langue succède progressivement une pédagogie de la parole, centrée sur l'utilisation de la langue.

2.2 Pédagogie centrée sur l'utilisation du code

Cette pédagogie s'inspire davantage des perspectives sociolinguistiques et fonctionnelles concernant la langue et le langage. Elle admet le caractère arbitraire de tout code linguistique et la coexistence des variétés d'usage. Elle considère que ces variétés sont acceptables en fonction des circonstances géographiques, culturelles et sociales différentes de même qu'en fonction des diverses situations de communication. Elle vise aussi l'appropriation du français standard, mais avec une démarche qui n'est pas centrée sur la langue, mais sur la parole, c'est-à-dire l'utilisation du code par l'écolier.

Elle reconnaît l'importance des fonctions de la langue et des objectifs poursuivis par le locuteur d'une part comme conditions nécessaires des apprentissages linguistiques et d'autre part comme facteur de variation linguistique. Il s'agit d'une pédagogie visant à développer non pas les connaissances linguistiques, mais les habiletés à réaliser les fonctions langagières, dont, en particulier et surtout, celle de la communication, en tenant compte des différents paramètres de cette dernière : intention, locuteur, contexte situationnel, code oral ou écrit, interlocuteur, thème ou sujet. Elle exige de fait des situations de communication signifiantes pour l'enfant à partir desquelles et grâce auxquelles ce dernier développera sa compétence langagière. Elle encourage davantage les interactions verbales entre les enfants et entre les enfants et l'enseignant.

Une telle approche a le mérite de réintroduire dans les apprentissages les dimensions psycholinguistique, sociologique et situationnelle absentes en général de l'approche fondée sur une conception normative de la langue. Il faut cependant reconnaître qu'elle présente certaines difficultés.

Les fondements théoriques n'en sont pas très explicités, ni très développés. La pragmatique, les théories de l'énonciation, l'analyse de discours, les modèles psycholinguistiques d'apprentissage du langage n'ont pas atteint un degré d'universalité et de développement suffisants pour que les pédagogues y puisent des données directement utiles ou sûres pour l'aménagement pédagogique. À titre d'exemple, mentionnons simplement le nombre impressionnant de schémas de la communication et de taxonomies des fonctions discursives. Il en résulte un certain flottement terminologique et conceptuel et des difficultés d'application au niveau pédagogique.

Ces difficultés peuvent conduire, surtout à l'oral, vers une pédagogie exclusivement centrée sur l'expression personnelle et l'intercompréhension dans les situations de communication immédiates. Une telle orientation peut être reliée à une volonté idéologique, sociale ou personnelle, que véhiculent certains discours théoriques et qu'auraient de rares enseignants, de promouvoir davantage la libération de la parole et l'émancipation des classes populaires que l'acquisition de la langue standard. Cette orientation peut se nourrir, au plan individuel, de l'opposition langue-parole et, au plan social, de l'opposition langue de la bourgeoisie — langue du prolétariat, en promouvant les dernières.

De façon plus générale, l'enseignement de la langue maternelle, d'inspiration communicative, éprouve des difficultés à préciser le long du curriculum les objectifs d'ordre linguistique ou même langagier, ces derniers demeurant souvent très généraux et se répétant d'un niveau à l'autre. On parvient mal également à intégrer aux situations de communication des objectifs ou des activités d'ordre linguistique.

Ainsi le nouveau programme de français du Québec (1979) met l'accent, en oral, sur les situations de communication et les types de discours et ne propose pas d'éléments d'apprentissage linguistique spécifiques. Les éléments d'apprentissage y sont plutôt formulés en termes d'habiletés à utiliser l'un ou l'autre des discours en fonction de l'intention de communication et des caractéristiques de l'interlocuteur.

Le nouveau programme de français de la Suisse (Besson et al., 1979) propose à l'oral de nombreux objectifs d'ordre linguistique, mais ils sont poursuivis dans des ateliers de langue très élaborés qui se déroulent, « pour l'essentiel, indépendamment de l'activité-cadre » (p. 42) et sans tenir compte des activités langagières authentiques proposées comme centrales dans la démarche pédagogique, mais très peu développées dans le programme. En Belgique, le programme de l'Enseignement libre reste fondé sur les contenus traditionnels de l'enseignement du français alors que le programme de l'État propose plutôt de « grandes intentions » (Tordoir, 1981) qui semblent toutefois recouvrir des objectifs d'ordre surtout linguistique.

La rénovation de l'enseignement du français en France n'a pas échappé à ces difficultés comme en fait foi la division de l'enseignement en deux temps, un temps de libération (activités d'expression) et un temps de contrainte (exercices d'apprentissage du code standard). Ainsi, écrivait Genouvrier (1972 : 48), « les temps d'expression ressortissent à la censure concrète, celle-ci se réalisant ou non selon les cas et selon la pédagogie que l'on a adoptée » et « les temps d'apprentissage au contraire relèvent de la censure abstraite, plus exactement du choix opéré par le pédagogue sur les structures qu'il désire faire acquérir ».

Ces difficultés constituent des indices à l'effet qu'une pédagogie de la parole peut difficilement évacuer le problème de la norme, malgré l'affirmation de Petiot et Marchello-Nizia (1972 : 113) :

« Loin du locuteur idéal de Chomsky et de la pratique normative du manuel, la linguistique du discours introduit, dans l'étude de la pratique langagière discursive, les conditions et les processus de production de discours. La prise en considération de ces deux directions de recherche permet de déplacer le problème de la norme scolaire et par là même de le dépasser. »

Au contraire, soutient Rey (1972 : 18), « c'est précisément la pédagogie [...] qui fournit à l'attitude normative sa justification la plus forte. Dans ce domaine [...] une définition univoque de l'usage à transmettre est nécessaire : il s'agit de juger pour choisir et de choisir pour enseigner [...] ».

En effet, on voit mal comment récole et le système scolaire peuvent se dispenser de proposer des objectifs de développement et de performance aux enfants. Cette question est antérieure et transcende les discussions de méthodologie et d'approche. L'école ne peut se limiter à reproduire les situations naturelles de communication vécues par l'enfant et se contenter du développement naturel du langage sous peine d'être inutile, d'une part, et de ne pas jouer son rôle de facteur d'égalisation des chances sociales, d'autre part.

Une pédagogie centrée sur l'utilisation du code a le mérite de considérer le code comme un moyen plutôt que comme une fin. Cependant, elle doit déterminer de quel(s) code(s) il s'agit et quelles) variation(s) elle va privilégier. Ne pas choisir implique déjà un choix et apparaît comme inacceptable pour les parents et la société en général qui ont naturellement tendance à réclamer un retour à l'enseignement traditionnel, pourtant dépassé.

À la lumière des considérations théoriques contenues dans la première partie de cet article et pour essayer de dépasser l'opposition apparente d'une pédagogie de la parole et d'une pédagogie de la langue, il y a lieu maintenant de réfléchir sur les objectifs de l'école quant à l'enseignement de la langue maternelle et de proposer quelques critères pour en déterminer les contenus linguistiques.

3.

Propositions d'objectifs et de contenus linguistiques pour l'enseignement de la langue maternelle

3.1 Objectifs généraux de l'enseignement d'une langue maternelle

L'enseignement de la langue maternelle constitue un des enseignements véhiculés par l'école. n n'entre pas dans le cadre de cet article de bien distinguer ce qui relève de l'enseignement du français de ce qui relève de l'enseignement des autres matières, d'autant plus que le français partage avec d'autres matières des objectifs communs et que les interactions verbales orales de même que la lecture et l'écriture constituent des moyens importants d'apprentissage et d'enseignement des autres matières. Ainsi, en apprenant la distinction entre les notions de fleuve et de rivière, l'enfant fait à la fois du français et de la géographie. En comprenant la formulation d'un problème de mathématiques, il développe sa compréhension des mathématiques et son habileté à lire. Nous ne concevrons donc pas les objectifs généraux de l'enseignement du français d'une façon étroite et spécifique mais plutôt dans la perspective plus globale de l'intégration des apprentissages. Les objectifs, soit spécifiques en français, soit partagés avec d'autres matières, sont d'ordre communautaire et d'ordre individuel.

À cause des fonctions communautaires d'une langue, l'école doit concourir à transmettre, protéger et développer ce bien collectif que constitue une langue. L'enseignement de la langue maternelle vise l'alphabétisation de la population et la transmission des valeurs, de l'héritage culturel et des connaissances. Elle vise également à préparer les individus à assumer le fonctionnement efficace des communications institutionnalisées à l'intérieur de la communauté nationale et à l'extérieur. Pour ce faire, elle doit transmettre les variantes de la langue qui sont plus spécifiquement reliées à ces fonctions, c'est-à-dire les éléments linguistiques propres au code écrit et au registre oral qui permettent d'assurer ces fonctions, ce qui implique dans plusieurs cas un français oral soutenu.

Au niveau individuel, l'école devrait avoir comme objectif général de développer l'habileté à assurer les fonctions individuelles du langage, autant les fonctions plus pratiques et utilitaires que sont la communication, l'expression, la relation avec autrui que les fonctions plus abstraites que sont les fonctions référentielle ou informative, heuristique, poétique et métalinguistique. Dans le cas des premières fonctions, un français oral populaire ou courant est suffisant pour beaucoup de gens. Dans le cas des autres fonctions, le français écrit correct s'avère utile, sinon indispensable.

Dans cette perspective, l'école doit viser à augmenter le répertoire linguistique des enfants pour leur donner la possibilité d'utiliser les variantes appropriées aux situations de communication les plus diverses et d'assurer le plus efficacement possible les fonctions auxquelles sert le langage. Ce développement n'exige pas la suppression des variantes existantes possédées par les enfants. La possibilité de la coexistence des usages est en effet clairement démontrée par les recherches qui ont révélé l'existence de variantes interchangeables chez les individus, même chez des enfants très jeunes. La nécessité d'un répertoire étendu de registres relève par ailleurs des exigences de l'intercompréhension.

Le choix d'un registre, formel ou informel, courant ou soutenu, dépend en dernier lieu du locuteur, des objectifs qu'il poursuit et de la situation de communication ou des activités langagières qu'il suscite ou qui le sollicite(nt). L'école doit donc respecter cette prérogative et organiser sa pédagogie de telle sorte que l'enfant ait non seulement un répertoire étendu, mais aussi qu'il sache s'en servir à propos et qu'il ait le goût de le faire.

Vouloir empêcher l'école, pour quelque raison idéologique que ce soit, de viser à faire acquérir le code écrit et le registre plus formel du code oral apparaît donc comme nuisible pour l'individu dont le répertoire verbal serait alors limité et pour la communauté qui en serait appauvrie. Vouloir, sous prétexte de purisme ou de développement social, empêcher l'école, l'individu ou même l'enfant d'utiliser une variété linguistique dialectale de registre informel quand il le veut, pour assurer les fonctions langagières qu'il désire, constitue également un appauvrissement du patrimoine communautaire et une discrimination inacceptable.

Un des objectifs importants de l'enseignement de la langue maternelle se situe précisément au niveau des attitudes à développer concernant la variation linguistique. Les attitudes pourraient être accueillantes et ouvertes par rapport aux usages variés de la francophonie. Une telle ouverture peut se créer concurremment avec le développement des jugements de l'enfant concernant la grammaticalité (surtout à l'écrit), l'acceptabilité (surtout à l'oral) et le caractère logique de différents énoncés, les siens comme ceux des autres. Les activités expérimentées et proposées par Hopper (1976) et que nous avons reprises récemment avec des professeurs du primaire indiquent que les enfants même très jeunes (6-9 ans) peuvent porter des jugements de grammaticalité, d'acceptabilité ou de logique sur des énoncés courts à leur portée. Les enfants semblent également capables de percevoir des ressemblances et des différences entre leur dialecte et d'autres dialectes, entre le code oral et le code écrit, etc. Des activités de ce type font percevoir objectivement, et non de façon normative, la réalité des variations linguistiques. Elles développent également une certaine conscience métalinguistique utile à l'utilisation appropriée de ces variations.

En essayant de concilier les perspectives normative, descriptive et fonctionnelle sur la qualité de la langue de même que la pédagogie centrée sur le code et celle centrée sur l'utilisation de ce dernier, on peut affirmer qu'en général une performance linguistique est de qualité quand il s'agit de l'utilisation, en fonction des objectifs visés et selon les circonstances ou les situations, d'éléments linguistiques conformes au code, à la variété ou au registre approprié.

En d'autres termes, si l'on définit la langue comme étant l'ensemble des éléments linguistiques communs aux individus d'une collectivité pour permettre l'intercompréhension et la parole comme l'utilisation de ces éléments à des fins de communication ou à d'autres fins, il ressort clairement que la pédagogie de la langue maternelle ne peut ignorer ni l'aspect de la langue, ni l'aspect de la parole. L'opposition entre une pédagogie centrée sur le code et une pédagogie centrée sur l'utilisation de ce dernier apparaît dépassée au profit d'une synthèse en voie de se définir théoriquement et cherchant à se réaliser concrètement.

Cette synthèse oriente l'enseignement de la langue maternelle vers le développement, chez les enfants, d'habiletés à utiliser le code de façon réceptive et productive en fonction des objectifs visés par l'utilisateur et en tenant compte, s'il s'agit de la fonction communicative, du message à transmettre, de même que des circonstances et des interlocuteurs en cause. Cette synthèse pose comme un des objectifs de l'enseignement que les enfants auront à maîtriser, en fonction des situations et des buts visés, les usages linguistiques acceptés par la collectivité, y compris l'usage privilégié. Cela implique que l'on vise à la conformité orthographique et grammaticale avec le code standard dans les situations de communication écrite qui l'exigent.

3.2 Réflexions sur les contenus d'ordre linguistique

L'orientation générale ainsi dégagée retient les préoccupations d'ordre linguistique de la pédagogie centrée sur la langue mais en élimine les aspects puristes ou étroitement normatifs de même que la centration sur le code. De l'autre orientation pédagogique, elle retient, par contre, la centration d'ordre langagier sur l'utilisation du code et déplore la pauvreté relative des contenus d'ordre linguistique ou la difficulté de les intégrer. Sans toucher aux aspects d'une démarche pédagogique qui faciliteraient cette intégration5, la dernière partie de cet article présente des éléments d'une réflexion qui permettrait de mieux cerner, de façon générale, la question des contenus linguistiques. La réflexion porte sur les éléments linguistiques reliés d'abord aux activités de compréhension puis aux activités de production et propose dans un dernier temps des critères de détermination d'éléments linguistiques oraux à développer, cet aspect semblant être celui qui présente le plus de difficultés.




5 À cet effet, l'activité d'« objectivation » proposée par le programme de français du Québec (1979) présente beaucoup d'intérêt. [retour au texte]




3.2.1 Activités de compréhension

On peut considérer que, en général, le milieu ambiant fournit à l'enfant un matériau linguistique oral diversifié comprenant plusieurs registres. Ainsi le cadre familial et les groupes d'amis présentent surtout un français informel, courant ou populaire. Les médias électroniques, radio, télévision, cinéma, apportent le registre plus formel, un français oral très souvent soutenu, et quelquefois d'autres variétés dialectales. L'école n'est plus le seul moyen d'accès possible au registre soutenu. Pour les enfants « normaux », les problèmes de discrimination auditive et de compréhension de ce registre pour des énoncés à leur portée ne se poseraient plus à leur arrivée à l'école. L'objectif ici ne peut pas être de corriger ou de remédier, mais plutôt de consolider et développer leurs habiletés à comprendre différents types de discours et de susciter leur intérêt pour ces derniers.

À l'oral, il s'agit d'aider les enfants, en fonction de leur âge, à intégrer de nouveaux mots, à structurer les champs sémantiques et lexicaux qu'ils possèdent déjà, à comprendre des structures, des phrases et des discours plus longs, plus complexes ou plus abstraits. Il y a lieu, après vérification de leur compréhension de messages simples, de développer leur compréhension de messages plus élaborés, véhiculés par différents types de discours comme ceux proposés par le nouveau programme de français du Québec (1979) : expressifs, ludiques, informatifs, incitatifs.

Le développement de ces habiletés se fait certainement par l'élargissement des formes et des structures linguistiques comprises par l'enfant. Il se fait également à partir des éléments linguistiques qu'il possède déjà et des discours qui sont fréquents dans son univers sonore que ce soit à la télévision, avec ses parents et en famille ou avec les autres enfants, dans le quartier ou dans la salle de classe. L'importance des habiletés d'écoute est largement révélée par le fait que, dans une journée régulière, l'adulte moyen consacre volontairement ou non beaucoup plus d'heures à écouter qu'à lire, écrire ou même parler. Les habiletés d'écoute critique positive deviennent essentielles autant dans la vie personnelle que dans la vie professionnelle des individus.

Ces habiletés, reliées par ailleurs à d'autres facultés comme l'intelligence et la mémoire, sont vraisemblablement de nature suffisamment profonde pour que l'on soit justifié de concevoir qu'elles sont fondamentalement les mêmes, peu importe la langue utilisée ou les variétés d'une même langue utilisées. Si cela s'avère fondé, le développement de l'écoute peut se faire à partir de discours de registre courant ou populaire. En outre, dans la mesure où les habiletés de compréhension et de critique sont communes à l'écoute et à la lecture, le développement des habiletés d'écoute de discours utilisant le registre le plus familier à l'enfant favoriserait, par transfert, les habiletés de compréhension et de lecture critique des textes écrits.

L'ouverture de l'école aux registres courant et populaire parlés par les enfants, et souvent par le professeur lui-même d'ailleurs, est fondée sur les considérations d'ordre sociolinguistique et fonctionnel que nous avons vues. Elle s'appuie également sur des préoccupations d'efficacité pédagogique. En effet, les enfants apportent eux-mêmes des variations linguistiques de différents registres, des façons de dire différentes qui, discutées et mises en commun, contribuent à augmenter le répertoire d'éléments linguistiques à la disposition de chaque enfant.

Cette mise en commun qui peut se faire, notamment pour le lexique, sous forme de brainstorming, peut facilement aboutir, au niveau du code, à une structuration sémantico-linguistique des acquis (voir, par exemple, Tarrab, 1981). Ces apports sont peu coûteux en termes d'équipement, de manuels et de déplacements parce qu'ils peuvent faire partie, si on les accepte ou si on les suscite, de la vie habituelle de la classe. Ils sont susceptibles d'être efficaces parce qu'ils impliquent directement les enfants euxmêmes sans artifice, ni simulation, dans des interactions verbales qui peuvent être authentiques.

Au fur et à mesure de la scolarisation et de l'alphabétisation, les discours et les éléments linguistiques apportés par les enfants vont s'enrichir. La comparaison par les enfants des variations de codes, de variétés et de registres peut contribuer à aider le développement de la compréhension de discours oraux soutenus. L'école peut augmenter ainsi la familiarité des enfants avec ce registre et aider à développer progressivement leurs capacités d'écoute de même que la qualité et le niveau de leur compréhension orale. Pour que l'enfant passe de l'écoute des dessins animés, pour la plupart en français oral soutenu, à la compréhension des informations télévisées, la maturation joue certes un rôle nécessaire, mais la scolarisation peut également constituer un facteur important.

Quant à la compréhension du code écrit, inutile de s'y attarder beaucoup, puisque l'école reconnaît là un de ses objectifs premiers. Une des incidences que la question de la norme peut avoir sur l'apprentissage de la lecture se situe par rapport aux différences entre le registre oral courant ou populaire et le code écrit de registre correct.

Plus les premiers textes présentés aux enfants pour qu'ils apprennent à lire sont près de la langue qu'ils possèdent, plus l'apprentissage du déchiffrage d'un texte se fait facilement et rapidement. Malgré les écarts inévitables entre les deux codes, il est possible, tout en respectant l'orthographe correcte, de faire en sorte que les textes proposés évitent le plus possible les différences. La meilleure façon de le faire et de s'assurer que le sens du texte à déchiffrer soit connu des enfants consiste à présenter la version écrite d'un énoncé ou d'une suite d'énoncés produits par les enfants eux-mêmes.

Le degré d'édition et de correction des énoncés fait alors par le professeur peut varier. Ainsi, certains ne respecteront que l'orthographe, et écriront : « il aime pas ça ». D'autres corrigeront en plus la morphosyntaxe et écriront. « il n'aime pas ça ». D'autres enfin voudront n'accepter que des énoncés de registre correct et modifieront des éléments lexicaux ou stylistiques pour présenter : « il n'aime pas cela ». Ces trois façons me semblent acceptables sur un plan normatif.

Il serait sans doute intéressant, sur une base uniquement expérimentale, de voir dans quelle mesure la transcription temporaire la plus directe possible des réalisations morphophonologiques du français courant dans les débuts de l'apprentissage de la lecture ne favoriserait pas ce dernier, particulièrement chez les élèves qui éprouvent des difficultés. La tendance la plus répandue à l'heure actuelle procède à l'inverse en essayant de faire intégrer de façon active les réalisations orales de registre soutenu. Cela ne me semble guère utile puisque la lecture est une activité de compréhension et que les enfants comprennent ce registre oral. S'ils ne le comprennent pas, alors l'approche de la familiarisation de l'enfant à l'oral soutenu pour des fins d'apprentissage de la lecture devrait se limiter aux seuls aspects de la compréhension orale sans viser l'appropriation des habiletés de production.

Une fois les habiletés de base acquises, les styles de textes lus devraient être de plus en plus variés et difficiles. Sans minimiser l'importance des discours littéraires, les autres discours ont droit de cité à l'école, à cause de leur importance pour la réalisation des différentes fonctions du langage. Ainsi la bande dessinée, le discours juridique, l'article de journal, les recettes de cuisine, les instructions pour faire du bricolage, le message publicitaire, les affiches, etc., constituent des textes écrits de spécialisation et de style différents que le citoyen de demain doit apprendre à déchiffrer, à comprendre et à évaluer.

Quant aux textes littéraires, plusieurs professeurs s'interrogent sur la place à accorder à la littérature « régionale d'expression française » par rapport à la littérature « française ». Certains, dans une perspective normative, déplorent la présence, dans les programmes de niveau secondaire ou collégial, d'oeuvres écrites en français dialectal et plus particulièrement en « joual ». Ils regrettent la valorisation ainsi accordée à cette variété dialectale et stylistique et en craignent la propagation. Ils estiment également que cette présence entre en contradiction avec leurs objectifs d'enseignement d'un français standard.

Cependant, il faut reconnaître que l'écriture de ces textes est en général correcte, sauf quand l'écrivain juge nécessaire ou utile de transcrire le plus fidèlement possible la réalité orale du français parlé par les personnages qu'il met en scène. La variété ainsi reproduite graphiquement comprend des éléments dialectaux, mais aussi des éléments d'un français oral courant commun à la francophonie.

Au fond, ce qui est rejeté alors implicitement et explicitement, c'est la variation orale. Un tel rejet témoigne de l'attitude prescriptive que nous avons déjà contestée. Que l'écriture littéraire utilise la variété et le style souhaités pour atteindre les fonctions stylistiques ou autres désirées constitue un phénomène non seulement acceptable, mais à respecter.

La question « faut-il enseigner une écriture oralisante? » est cependant différente, car elle implique l'aspect de production de messages.

3.2.2 Activités de production

C'est surtout par rapport à la production des messages plutôt que par rapport à leur compréhension que se situe la question du choix des variantes linguistiques à enseigner. Une raison en est sans doute que la production, sans que l'on sache précisément pourquoi, semble plus complexe et plus difficile puisque sa maîtrise suit toujours celle de la compréhension et que le répertoire linguistique actif est plus limité que le répertoire passif. Une deuxième explication serait que la production, au contraire de la compréhension, aboutit à un produit visible ou audible que l'interlocuteur ou la société peut juger et évaluer plus facilement.

Une dernière raison, pour le code écrit du moins, serait que le système orthographique et grammatical est d'une telle complexité, en lui-même et quant à ses relations avec le code oral, qu'il faut y consacrer un temps très — sinon trop — considérable. Comme il y a, en plus, beaucoup d'autres apprentissages scolaires à réaliser, il semble réaliste, en vue de la détermination des contenus linguistiques à enseigner aux niveaux primaire et secondaire, de proposer trois principes de base : l'économie, l'utilité et la productivité.

Le principe d'économie demande que l'on ne vise à faire acquérir la maîtrise que d'une variété et d'un registre de cette variété; ou, à tout le moins, que l'on s'assure de la maîtrise d'une variété et d'un registre avant d'en proposer d'autres. Le principe d'utilité suppose qu'il faut choisir la variété et le registre les plus répandus et les plus acceptés pour réaliser les fonctions langagières impliquées.

Le principe de productivité signifie que l'on concentre les efforts sur les éléments linguistiques qui se situent à des niveaux plus « fondamentaux » que d'autres et qui d'ailleurs sont généralement en nombre plus limité. Il s'agit des éléments structuraux — phonologie, morphologie et syntaxe — que l'on considère comme des classes fermées par rapport aux éléments lexicaux qui constituent une classe considérée comme ouverte.

Par rapport au français écrit, ces principes s'appliquent très bien. Il est en effet facile de constater que le français écrit correct, de préférence aux registres familier/populaire ou littéraire, est le plus répandu et le plus accepté dans l'ensemble de la francophonie et dans chaque communauté nationale ou régionale. Cela, je pense, règle par la négative la question de l'enseignement d'une orthographe ou d'une morphosyntaxe familière ou « joualisante ». De même le style littéraire, avec par exemple ses passés simples et ses imparfaits et plus-que-parfaits du subjonctif, ne peut constituer un objet d'enseignement premier. Il est intéressant par ailleurs de constater que les deux registres « extrêmes » peuvent coexister dans le discours littéraire qui peut faire l'objet, pour certains élèves et après l'appropriation du niveau correct, d'un apprentissage actif.

Le choix du niveau écrit correct ne pose pas de problème quant aux composantes structurales de la langue ni, dans l'ensemble, quant à la composante lexicale. Cependant, certains termes, en quantité limitée, ne figurent pas aux dictionnaires standard. C'est le cas notamment des dialectalismes, qu'ils soient communs à plusieurs régions et pays ou particuliers à certains. Pour des raisons d'économie et d'utilité, il me semble que l'école doit enseigner à écrire les dialectalismes du pays en respectant l'usage orthographique habituel s'il existe ou en créant l'usage dans les rares cas contraires.

Il m'apparaît acceptable que l'école, dans plusieurs cas, ne tienne pas compte des condamnations de certains dialectalismes, ou expressions propres à une communauté, considérés par les puristes comme des anglicismes, des néologismes, des barbarismes ou autres -ismes. Très souvent, il s'agit de mots fréquents désignant des réalités quotidiennes à propos desquelles d'ailleurs les enfants peuvent vouloir plus facilement écrire qu'à propos de thèmes proposés ou imposés par l'enseignant. Place donc, n'en déplaise pour certains mots aux derniers actes « normatifs » de l'Office de la langue française du Québec (1981), à des mots comme : hot-dog, hamburger, root beer, fins de semaine, popsicle, nettoyeur, arrêt, etc.

Dès le primaire, il importe de faire écrire aux enfants différents types de message, dont en particulier les types qu'ils rencontrent le plus souvent En effet, ces messages peuvent renforcer et consolider les acquisitions linguistiques faites et stimuler l'acte d'écrire en illustrant pour les enfants futilité de cet acte, loin d'être évidente, pour de jeunes enfants. On peut mentionner dans cette catégorie les affiches, les panneaux-réclame, les bandes dessinées, les messages publicitaires, les chansons, les comptines, etc. Il est utile et intéressant de réaliser différents types de discours (informatif, expressif, etc.) et de faire acquérir alors les éléments linguistiques qui y sont particulièrement fréquents et qui contribuent à les caractériser.

Dès la fin du secondaire, mais surtout aux niveaux collégial et universitaire, (étude des discours spécialisés s'impose en fonction des choix et des orientations professionnelles de chacun. à faut apprendre ce qu'on peut appeler le style juridique, commercial, technique, administratif, scientifique, littéraire, etc., pour être en mesure de produire des textes qui sont requis par les études dans ces disciplines ou par l'exercice des métiers et professions qui y sont reliés.

Par rapport à la production de messages oraux, les problèmes de choix sont plus complexes et plus difficiles à cause en particulier de l'absence de norme prescriptive unique. Il y a d'abord lieu de considérer la compétence linguistique de l'enfant qui arrive à l'école. Il est évident que, en plus des considérations sociolinguistiques et fonctionnelles que nous avons mentionnées, les principes d'économie et d'utilité s'appliquent à rebours pour refuser toute tentative de radiation des formes linguistiques dialectales ou de registre courant ou populaire déjà maîtrisées par les enfants.

De façon plus positive, on peut croire que l'utilisation de ces formes, alliée à la maturation et aux apports scolaires, contribue au développement linguistique, langagier, cognitif et social des enfants d'âge scolaire. Ainsi Stern (1981) suppose que les habiletés d'expression orale en suisse allemand sont transférables au niveau des discours écrits en allemand standard et fait l'hypothèse que la maîtrise du « oral narrative style [...] facilitates the acquisition of literacy » (p. 35). Enfin, ces formes sont nécessaires sinon indispensables à la réalisation des interactions verbales entre enfants et avec l'enseignant qui sont si importantes pour les apprentissages humains et scolaires.

En considérant le degré de développement linguistique des enfants à leur entrée à l'école, l'absence de norme prescriptive en oral et le poids de l'influence linguistique du milieu ambiant, certains sont portés à penser qu'il n'y a pas lieu de fixer des objectifs linguistiques à l'enseignement de l'oral, mais des objectifs uniquement langagiers, sinon aucun objectif du tout.

Pourtant plusieurs recherches (revues notamment par Palerrno et Molfese, 1972) qui ont porté sur la langue parlée des enfants d'âge scolaire révèlent que le développement linguistique, malgré qu'il soit très avancé, n'est pas terminé à l'âge de cinq ans et que « d'importantes acquisitions syntaxiques apparaissent dans le langage de l'enfant bien après qu'il ait atteint » (p. 415) cet âge. Les recherches faites au Québec (Gagné, Pagé et coll., 1981a) indiquent que l'enfant développe et modifie ses performances orales au moins aux niveaux du vocabulaire, de la morphologie et de la syntaxe jusqu'à 12 ans et même plus tard. Ces recherches n'ont pas réussi à isoler la maturation reliée à l'âge des effets de la scolarisation, mais on peut penser que les deux contribuent à cette évolution et que l'influence de l'école n'est pas négligeable.

Ainsi, la recherche de Hébert (Hébert, Gagné et Barbaud, 1981) a relevé l'évolution de l'emploi des éléments de morphologie orale standard du genre chez des enfants québécois de la maternelle à la sixième année du primaire. L'appropriation active des marques standard qui constituent souvent des exceptions, comme par exemple du (les enfants utilisent souvent de le), [dez] des oeufs, prononcé [dezœ:f], se fait pour la majeure partie durant la scolarisation primaire. À la fin du primaire même, plusieurs marques n'étaient pas encore utilisées dans la situation de testing par plus de 70 % des enfants. Il s'agit surtout d'alternances reliées à des éléments lexicaux plutôt que structuraux, comme : [ns] un os ~ [dezo] des os; [ilsãva] il s'en va ~ [ilsãv] ils s'en vont; [ilst] il se tait ~ [ilst:z] ils se taisent; [ilet] il éteint ~ [ilzet:] ils éteignent. Il y a donc place à l'école primaire pour des objectifs de développement linguistique de l'oral en vue de l'acquisition active des structures morphosyntaxiques adultes.

De façon plus générale, il est utile d'augmenter le répertoire actif des éléments linguistiques à la disposition des enfants en vue d'un élargissement des situations et des registres de communication où ils pourront être à l'aise et réussir leurs productions verbales en atteignant les objectifs qu'ils se sont fixés. L'accroissement du répertoire verbal augmente les possibilités d'adaptation de l'usager aux différentes situations de communication et aux fonctions variées d'utilisation de la langue parlée. Enfin, l'école fournit ainsi l'occasion à tous les enfants de s'approprier l'usage oral privilégié par la collectivité.

Il s'agit pour l'école, sans porter de jugement de valeur sur les différents usages et sans vouloir éliminer les usages spontanés et légitimes, de fournir des occasions d'utilisation des éléments entendus et compris, qui font partie de la compétence passive des enfants. L'objectif n'est pas de remplacer un usage par un autre, mais plutôt de familiariser l'enfant avec l'utilisation d'un usage soutenu.

L'exigence ne pourra pas être que cet usage soit employé partout et toujours, que ce soit à la maison, dans la rue ou en classe. L'école doit respecter l'autonomie et la liberté individuelle du choix des éléments linguistiques à utiliser en fonction des paramètres fonctionnels et situationnels de la communication. Ce respect est nécessaire pour favoriser chez l'enfant l'utilisation spontanée et alors nécessairement volontaire des éléments linguistiques conformes au code approprié en fonction des situations de communication et des objectifs poursuivis.

En résumé, au niveau du code écrit, les éléments linguistiques à proposer aux enfants présentent relativement peu de problèmes de choix. Au niveau de l'oral, la détermination des éléments linguistiques précis dont le maître pourrait favoriser l'acquisition en compétence active devient plus complexe et nécessite l'utilisation de critères explicites. Ceux qui sont développés ci-après constituent un premier effort de réflexion en ce sens.

3.2.3 Quelques critères de détermination d'éléments linguistiques oraux à développer


Le principe général d'économie présenté plus haut s'applique dans l'opération de détermination des éléments oraux à privilégier. Essentiellement, il signifie ici que l'on n'a pas plus d'un registre ou d'une variété à développer à la fois chez les enfants, et qu'il y a lieu de penser en termes de priorités. Cela implique qu'il est possible qu'il faille pour le maître varier ses objectifs en fonction de chaque enfant ou de chaque groupe d'enfants puisque les enfants ne sont pas tous au même niveau. Une telle adaptation, on le conçoit, n'est pas aisée et nécessite, d'une part, des outils d'observation qui ne sont pas encore à la disposition du maître et, d'autre part, une pédagogie de la parole, qui est nouvelle pour la plupart des enseignants.

Le premier critère serait celui de la non-marginalisation de certains enfants par rapport au groupe. Il y a toujours des enfants au début de la scolarisation qui n'ont pas intégré certaines prononciations et qui continuent pour certains éléments à utiliser des formes enfantines caractéristiques d'enfants plus jeunes. On dit qu'ils continuent à parler comme des « bébés » quand ils utilisent des formes comme [kla] chocolat, [pstak] spectacle, [zwazo] un oiseau, etc. La résolution des difficultés d'ordre individuel constitue un premier niveau d'objectifs à atteindre, d'une façon discrète et personnelle, pour le maître. Il s'agit d'aider ces enfants à utiliser des formes linguistiques qui leur permettent soit d'être compris soit de ne pas être ridiculisés.

Un deuxième critère peut être cherché en fonction d'une distinction résultant de certaines études sociolinguistiques entre des variantes linguistiques qui sont des indicators et d'autres qui sont des markers (Chambers et Trudgill, 1980 : 83-84)6.

Les éléments qu'on pourrait appeler des « indicateurs » sont des variantes qui, même si elles peuvent être en corrélation avec des différences de classes sociales, ne sont pas impliquées dans les variations systématiques de registre. Un exemple d'indicateur pourrait être en français québécois l'affrication importante des consonnes /t/ et /d/ devant les voyelles hautes antérieures comme dans [tsy] tu, [dzi] dis.

Les éléments qu'on pourrait appeler des « marqueurs » sont définis comme des variantes témoignant de différences d'utilisation marquées selon les registres (« styles »), les classes, l'âge et le sexe. Ainsi, en français québécois, la prononciation [pe:R] (pére) pour père pourrait être considérée comme un marqueur.

Une telle distinction peut s'avérer productive pour déterminer les éléments linguistiques oraux que l'école pourrait se proposer d'enseigner. Ce serait, de préférence et en priorité, les variantes linguistiques qui sont en variation avec les marqueurs plutôt que les variantes correspondant aux indicateurs. Ainsi, il vaudrait mieux orienter les efforts vers le // comme dans père plutôt que vers la non-affrication de /t/ et /d/ comme dans tu et dit.




6 Cette distinction explicite celle faite par Labov (notamment 1972 : 112-113) entre fine stratification et sharp stratification, distinction retrouvée dans les données d'autres recherches subséquentes menées aux États-Unis et en Grande-Bretagne. [retour au texte]




À partir de ces exemples, on peut postuler que les marqueurs correspondraient à un registre oral populaire et les indicateurs à un registre oral courant On peut alors reformuler la priorité en proposant que l'école vise à faire acquérir les éléments de français oral courant ou soutenu qui correspondent aux éléments d'un registre populaire.

Ces notions d'indicateurs et de marqueurs demeurent encore illustrées par très peu de variantes linguistiques expérimentalement identifiées. Chambers et Trudgill (1981 : 84-88) proposent toutefois un certain nombre d'explications théoriques pour rendre compte de l'existence d'un marqueur de registre. On peut alors supposer, pour le moment, que les variantes auxquelles ces explications semblent s'appliquer constitueraient de fait des marqueurs. Les quatre conditions pour qu'une variante joue le rôle de marqueur sont la condamnation explicite (overt stigmatisation), l'évolution linguistique (linguistic change), les oppositions phonologiques (phonological contrast) et les stéréotypes. Chambers et Trudgill ajoutent (p. 84) que les usagers sont moins conscients de la variante qui est un indicateur que d'une variante qui constitue un marqueur.

Au Québec, des enfants ou des adultes qui utilisent dans des situations formelles de communication des formes comme [mwe] môé, [hYp] h(j)upe, [lIt] lite, des sacres ou des jurons, [siiR] si j'irais, bicycle à gaz (motocyclette), etc., font en général l'objet d'une appréciation sociale défavorable. De telles formes sont en fait le sujet de commentaires péjoratifs et d'une condamnation explicite de la part de l'ensemble des usagers. [mwe], [twe] constituent des archaïsmes de prononciation et relèvent aussi d'une deuxième explication : celle de l'évolution linguistique. La prononciation de « jupe » avec un [h] constitue peut-être un bon exemple de ce que Chambers et Trudgill appellent un stéréotype dans la mesure où une telle prononciation est en soi collectivement ridiculisée.

Ces éléments linguistiques pourraient donc constituer des exemples de « marqueurs » d'un registre populaire. Il y aurait alors lieu pour l'école de favoriser chez les enfants l'appropriation en compétence active des éléments non marqués qui leur correspondent : [mwa], [yp], [1i], etc.

Même s'il peut s'agir d'un nombre restreint de paires minimales et que la confusion sémantique soit peu probable à cause du contexte linguistique et situationnel de l'énoncé, Chambers et Trudgill (1981 : 86) croient néanmoins que les changements phonologiques attirent plus l'attention des usagers ou des interlocuteurs que les changements d'ordre purement phonétique. Selon eux, de tels changements ont beaucoup de chances d'être des marqueurs de registre. Cela semble s'appliquer également en français québécois.

Les variations phonétiques bien connues comme l'affrication [p()tsi] (petit), la palatalisation [gi:R] (guerre), la fermeture des /i/, /y/, /u/ en [I] [Y] [U] en syllabe finale fermée, la diphtongaison [kaœ:R] (coeur), l'assourdissement ou l'élision de voyelles [yn()vRsite] (université) constituent des variantes qui ne seraient pas des marqueurs. Marchai, dans une étude sur le phonétisme québécois et la norme (1981 : 156-168) dresse une liste des variantes allophoniques qui, comme celles-là, ne contreviendraient pas à ce qu'il appelle la norme du français québécois. De plus, de telles variantes n'empêchent pas, selon lui, la reconnaissance de phonèmes et ne gênent donc pas la communication. La raison fondamentale en serait que ces variations n'ont pas de « pertinence communicative » pour reprendre l'expression de Germain (1981 : 20-23).

Tout autre est le cas des variations d'ordre phonologique qui touchent alors les traits distinctifs, pertinents par rapport à la communication. Même si la compréhension, comme l'indique Marchal (p. 164), par rapport aux changements vocaliques du type // —> /a/ ([∫ãt] —> [∫ãta]) n'est pas toujours réduite, il semble pourtant, comme le soulignent Chambers et Trudgill, que toute neutralisation d'opposition phonologique ou tout changement phonologique de timbre risque de devenir un marqueur de registre populaire.

Ainsi des variantes comme [meR] (mère), [kRe] (crois), [fRt] (froid), [pwl] (poil), [eta] (j'étais), etc., constitueraient de tels marqueurs. Il en résulterait que l'école, sans vouloir déraciner ces réalisations, aurait à fournir à l'enfant des situations de communication où il s'habituerait à utiliser les variantes non marquées que sont : [meR], [kRwa], [fRwa], [et], etc.

Un autre critère de détermination des contenus linguistiques oraux à développer réside dans la présence plus ou moins importante dans la communauté de la variante que l'on veut enseigner. Ainsi, à partir d'une recherche faite sur l'évolution du vocabulaire d'enfants québécois de 9 à 12 ans et de 1971 à 1974 par rapport à cinquante objets de la vie quotidienne, Primeau (1981) a constaté que, avant les interventions spécifiques de l'école, le développement de ce vocabulaire avait tendance à se faire en fonction des termes privilégiés par la majorité des enfants de cet âge et de la même ville, peu importe que ces termes fussent dialectaux ou standard. Chambers et Trudgill (1981 : 75-79) font également ressortir l'influence des réseaux sociaux (social networks) sur les variations de prononciation et indiquent que cette influence varie avec la cohésion du groupe et le degré d'adhésion à ce dernier.

En somme, nous retrouvons ici, à un autre niveau, la fonction d'identification ethnique ou communautaire de la langue et la fonction corollaire d'intégration sociale de l'individu. Dans la mesure où l'identification au groupe et la cohésion de ce dernier sont fortes, il sera difficile de promouvoir des variantes linguistiques perçues comme « étrangères » ou « artificielles ». Les objectifs d'appropriation des éléments linguistiques de registre courant ou soutenu auront d'autant plus de chances de réussir que les formes proposées se retrouvent fréquemment dans la société nationale ou la communauté ambiante.

Voilà une des raisons pour lesquelles des termes comme racinette pour root beer, landau pour carosse, maïs éclaté au lieu de maïs soufflé ou pop-corn, hambourgeois au lieu de hamburger n'ont presque aucune chance de se répandre. D'autres termes comme pneu, pomme de terre, voiture, parce qu'ils sont utilisés à la fois dans l'usage oral courant et dans les médias québécois, auront beaucoup plus de probabilités d'être employés. Ils font déjà partie du répertoire passif sinon de tous les enfants, du moins de la très grande majorité d'entre eux et ils font également partie du répertoire actif de plusieurs. Pour des raisons d'économie et d'utilité, l'école devrait travailler davantage sur des éléments comme les derniers plutôt que comme les premiers.

Le dernier critère de détermination des éléments linguistiques oraux à développer chez les enfants est celui de l'usage perçu comme souhaitable par la collectivité concernée. En d'autres termes, le contenu linguistique du développement des habiletés de production des messages oraux est à déterminer par rapport à chaque communauté nationale de la francophonie en fonction de la variété dialectale qu'elle privilégie7.

Conclusion

Cet article constitue un essai visant à suggérer des éléments de réponse à la question « quelle langue enseigner? » Dans un premier temps, une présentation sommaire des résultats des réflexions et des recherches menées depuis une quinzaine d'années a permis d'identifier quelques concepts et données fondamentaux. Ces éléments n'ont pas pu être approfondis ou discutés et ils risquent d'avoir été abusivement simplifiés. Toutefois, ils constituent une toile de fond préalable nécessaire pour permettre de dépasser le dilemme évoqué par Rey (1972 : 19) : « ... les théoriciens de la pédagogie, aujourd'hui conscients du poids idéologique de la norme établie, ne peuvent ni éliminer le concept normatif, ni accepter cette norme. »

L'étude de la variation linguistique permet la distinction entre français écrit et français parlé et met en relief, surtout pour ce dernier, les notions de variantes d'ordre géographique, social et situationnel. Il en ressort que la norme tend vers l'unicité en français écrit et vers la multiplicité en français parlé et il semblerait que l'intercompréhension soit possible grâce, d'une part, à l'importance des éléments communs à des interlocuteurs d'origines différentes et, d'autre part, grâce au fait que chaque locuteur possède un répertoire de variantes linguistiques interchangeables qu'il sait utiliser ou à tout le moins comprendre. La prise en compte des fonctions communautaires et individuelles du langage fait ressortir le fait que la langue ne constitue pas une fin mais un moyen et que le code n'est qu'une des composantes de l'acte langagier. C'est d'ailleurs par l'utilisation du langage pour réaliser différentes intentions que l'enfant qui entre à l'école a développé une maîtrise étonnante du français parlé par son entourage et dont il continue à intégrer de façon inconsciente les règles de fonctionnement. À l'école, les interactions verbales peuvent aussi offrir un moyen important d'enseignement et d'apprentissage.




7 Cette position rejoint la première résolution approuvée par l'Association québécoise des professeurs de français lors d'un congrès tenue en 1977 et qui a été formulée ainsi : « Que la norme du français dans les écoles du Québec soit le français standard d'ici. Le français standard d'ici est la variété de français socialement valorisée que la majorité des Québécois francophones tendent à utiliser dans les situations de communication formelle. [retour au texte]




Ces considérations aident à identifier et à critiquer deux orientations majeures de la pédagogie de la langue maternelle : une pédagogie centrée sur le code et une pédagogie centrée sur l'utilisation de ce dernier. Traditionnelle, normative, prescriptive et centrée sur l'écrit, la première orientation a tendance à mettre l'accent sur un français standard mythique au détriment du sens et des fonctions, à négliger le développement du français parlé, à condamner le langage spontané et courant des enfants surtout quand il est dialectal ou populaire, à sous-estimer et à sous-utiliser leur compétence linguistique et à décourager les interactions verbales authentiques en classe. La pédagogie centrée sur l'utilisation du code prend davantage en considération les perspectives sociolinguistiques, psycholinguistiques et fonctionnelles concernant le langage et son développement. L'enseignant qui s'inspire de cette nouvelle orientation ne réussit cependant pas toujours à éviter une certaine improvisation dans l'enseignement, a tendance quelquefois à limiter l'enseignement de l'oral à des activités d'expression personnelle et de communications immédiates et éprouve des difficultés à déterminer et à intégrer les objectifs linguistiques de l'enseignement.

Pour dépasser l'opposition apparente de ces deux orientations, les considérations théoriques de la première partie de l'article permettent de proposer des objectifs généraux de l'enseignement d'une langue maternelle qui tiennent compte des fonctions autant communautaires qu'individuelles du langage. C'est dans la perspective fonctionnelle du développement d'habiletés langagières que peuvent être formulés les objectifs d'élargissement du répertoire linguistique oral et écrit des enfants et du développement d'une attitude d'ouverture vis-à-vis des variétés et registres de langue. Les habiletés d'écoute et de lecture peuvent se développer, d'une part, dans la variété et le registre connus de l'enfant (y compris la littérature « dialectale ») et, d'autre part, par une plus grande familiarisation avec les registres plus formels. Quant aux activités de production, les principes d'économie, d'utilité et de productivité peuvent guider le choix des contenus linguistiques de l'enseignement. Au niveau du français écrit, le registre correct s'impose sans discussion si ce n'est à propos des éléments lexicaux dialectaux à inclure comme objets d'enseignement. Au niveau du français oral, les éléments linguistiques non maîtrisés par certains enfants de même que les variantes correspondant à des marqueurs de registre populaire, qui connaissent une certaine diffusion dans la collectivité et qui sont perçues comme souhaitables par cette dernière, constitueraient des éléments linguistiques spécifiques à faire acquérir en priorité.

La discussion de ces principes généraux et des critères de choix a été illustrée par des exemples qui concernent l'enseignement du français langue maternelle au Québec. De telles références à une société particulière permettent de faire des propositions plus concrètes et plus réalistes mais dont la portée est plus limitée. Pour vérifier le caractère généralisable de ces principes et critères, on pourrait analyser et comparer les contenus linguistiques de l'enseignement de la langue maternelle élaborés dans la même optique pour d'autres collectivités francophones ou allophones. Il serait intéressant de voir dans quelle mesure des réalités comme la situation d'ordre sociopolitique et démographique, l'éloignement ou la proximité par rapport à l'Hexagone, le bilinguisme ou l'unilinguisme de chaque collectivité, etc., constituent des éléments explicitement non traités ici mais importants pour fournir à chaque collectivité des éléments de réponse à la question : « Quelle langue enseigner? » Cet article a tenté d'apporter une réponse d'ordre général, appuyée sur des exemples particuliers à une collectivité donnée.






ANNEXE


Les registres du français québécois : quelques exemples





Références

ASHER, Steven R. (1979), « Referential Communication », dans : G.J. WHITEHURST et B.J. ZIMMERMAN (éd.), The Functions of Language and Cognition, New York, Academic Press, 175-197.

BAILLARGEON, Madeleine et Aimée LEDUC (1981), « La compréhension du langage de l'enseignante par des enfants de niveaux socio-économiques différents », dans : G. GAGNÉ, M. PAGÉ et coll., Études sur la langue parlée des enfants québécois (1969-1980), Montréal, P.U.M., 237-248.

BARNES, Douglas (1975), From Communication to Curriculum, Harmondsworth (England), Penguin Books Ltd.

BEAUDICHON, Janine (1978), « Caractéristiques et efficacité de la communication chez l'enfant », Bulletin de psychologie, nov.-déc. 1978, XXXII/338 : 93-97.

BESSON, Marie-Josèphe, M.-R. GENOUD, B. LIPP et R NUSSBAUM (1979), Maîtrise du français. Méthodologie pour l'enseignement primaire, Office romand des éditions et du matériel scolaires, Vevey, Delta; Genève, L.E.P.; Paris, Fernand Nathan.

BOUDREAULT, F., M. MORIN et R. LAMARCHE (1974), Mesure du degré de satisfaction de certains groupes de la population du Québec quant au niveau de langue transmis par l'école, Rapport de recherche, Montréal, Université de Montréal, Faculté des sciences de l'éducation, non publié.

BRITTON, James (1972), « What's the Use? A Schematic Account of Language Functions », dans : A CASHMAN et E. GRUGEON (éd.), Language in Education, Londres, Routledge and Kegan Paul, 245-251.

CHAMBERS, J.K. et Peter TRUDGILL (1980), Dialectology, Cambridge, Cambridge University Press, « Cambridge Textbooks in Linguistics ».

CHANTEFORT, Pierre (1980), « Pour une définition de la qualité de la langue », dans Actes du colloque : « La qualité de la langue... après la loi 101 », Québec, Gouvernement du Québec, Conseil de la langue française, 28-45.

CHAUDENSON, Robert (1978), « Créole et langage enfantin : phylogenèse et ontogenèse », Langue française, 37 : 76-90.

COHEN, Marcel (1962), Études sur le langage enfantin, Paris, éd. du Scarabée.

COMEAU, Judith et Michel PAGÉ (1981), « Comparaison du langage oral dans deux milieux à dix et seize ans », dans : G. GAGNÉ, M. PAGÉ et coll. (1981a), 221-236.

CORBEIL, Jean-Claude (1980a), « Les choix linguistiques », dans Actes du colloque : « La qualité de la langue... après la loi 101, Québec, Gouvernement du Québec, Conseil de la langue française, 46-52.

________(1980b), L'aménagement linguistique du Québec, Montréal, Guérin, coll. « Langue et société ».

D'ANGLEJAN, Allison et G.R TUCKER (1973), « Sociolinguistics Correlates of Speech Style in Québec », dans : R. SHUY et R. FASOLD (éd. ), Language Attitudes : Current Trends and Prospects, Washington, Georgetown University Press, 1-27.

DAOUST-BLAIS, Denise et Monique LEMIEUX-NIÉGER (1979), « /t U t/ en français du Québec », Cahiers de linguistique de l'Université du Québec, Montréal, P.U.Q., 9. 73-121.

DEPREZ, Kas (1981), « Comparaison sociolinguistique du flamand et du français canadien », dans : J.M. KLINKENBERG, D. RACELLE-LATIN et G. CONNOLY (réd.), Langages et collectivités : le cas du Québec, Montréal, Leméac, 181-200.

DUBOIS, Jean (1965), Grammaire structurale du français. Nom et pronom, Paris, Larousse.

ENCREVÉ, Pierre (1977), « Table ronde "linguistique et sociologie du langage" », Langue française, 34 : 35-51.

GAGNÉ, Gilles (1973), « Langue parlée, langue écrite et les niveaux de la langue parlée », dans : Quand on est au proche. Français secondaire IV-V, Document d'accompagnement, Montréal, Service général des moyens d'enseignement, ministère de l'Éducation du Québec, 15-33.

________(1974), Le système de la langue française. Guide du maître. Français 5e secondaire, Montréal, Service général des moyens d'enseignement, ministère de l'Éducation du Québec.

________(1980), Pédagogie de la langue ou pédagogie de la parole?, Montréal, P.P.M.F. primaire, Université de Montréal, coll. « Le français à l'école primaire ».

________, Michel PAGÉ et coll. (1981a), Études sur la langue parlée des enfants québécois (1969-1980), Montréal, P.U.M.

________(1981b), « Orientation et caractéristiques des recherches descriptives sur la langue parlée des enfants québécois », dans : G. GAGNÉ, M. PAGÉ et coll. (1981a), 17-48.

________et Philippe BARBAUD (1981), « Remarques sur la langue parlée d'enfants de six-sept ans », dans. G. GAGNÉ, M. PAGÉ et coll., (1981 a), 49-69.

GAMBELL, Trevor J. (1981), Sociolinguistic Research of Children Language : the Culture of the Classroom, communication présentée au congrès annuel de la Canadian Society for the Study of Education, tenu à Halifax, non publié.

GARVEY, Catherine et Mohamed BENDEB8A (1974), « Effects of Age, Sex and Partners on Children's Dyadic Speech », Child Development, 45/4 : 159-161.

GENOUVRIER, Émile (1972), « Quelle langue parler à l'école? Propos sur la norme du français », Langue française, 13 : 34-51.

GERMAIN, Claude (1981), La sémantique fonctionnelle, Paris, P.U.F.

GRATTON, Micheline et Philippe BARBAUD (1981), « Vocabulaire, milieux sociaux et méthodes d'enseignement », dans : G. GAGNÉ, M. PAGÉ et coll., (1981a), 265-281.

HALLIDAY, M.A.K. (1973), Explorations in the Functions of Language, Londres, Edward Arnold.

________(1975), Learning How to Mean. Explorations in the Deuelopment of Language, Londres, Edward Arnold.

HÉBERT, Bernard, Gilles GAGNÉ et Philippe BARBAUD (1981), « Les alternances phonologiques du pluriel en français chez des enfants de la maternelle à la 6e année », dans : G. GAGNÉ, M. PAGÉ et coll. (1981a), 145-160.

HOPPER, Christophe (1975), Depuis quand date la crise de l'enseignement du français?, Montréal, P.P.M.F. élémentaire, Université de Montréal, non publié.

________(1976), De l'exercice structural à l'analyse du langage, mémoire de maîtrise, Faculté des sciences de l'éducation, Université de Montréal, non publié.

JAKOBSON, Roman (1963), Essais de linguistique générale, Paris, éd. de Minuit.

LABERGE, Suzanne et M. CHIASSON-LAVOIE (1971), « Attitudes face au français parlé à Montréal et degrés de conscience de variables linguistiques », dans : R. DARNALL (éd.), Linguistic Diversity in Canadian Society, Edmonton, Linguistic Research Inc., 89-124.

LABOV, William (1971), « The Study of Language in Ils Social Context », dans : J. FISHMAN (éd. ), Advances in the Sociology of Language, La Haye, Mouton, vol. 1, 152-216.

________(1972), Sociolinguistic Patterns, Philadelphie, University of Pennsylvania Press. (Trad. en français par A. Khim sous le titre Sociolinguistique, Paris, éd. de Minuit, 1976.)

________(1974), « L'étude de l'anglais non-standard », trad. de l'anglais par F. Kerleroux, Langue française, 22 : 79-106.

________et Teresa LABOV (1977), « L'apprentissage de la syntaxe des interrogations », Langue française, 34. 52-78 (trad. de l'anglais par A. Kihm).

LAGANE, René (1976), « Modèle descriptif et modèle pédagogique », Le français dans le monde, 121 : 18-23.

LAKS, Bemard (1977), « Contribution empirique à l'analyse socio-différentielle de la chute de /r/ dans les groupes consonantiques finals », Langue française, 34 : 109-124.

LAMBERT, S. et W.E. LAMBERT (1975), The Role of Speech in Forming Evaluations : a Study of Children and Teachers, McGill University, recherche en cours, non publié.

LAMBERT, W. E., H. FRANKEL et G.R. TUCKER (1966), « Judging Personnahty through Speech : A French-Canadian Example », Journal of Communication, 16 : 305-321.

MARCHAL, Alain (1980), Les sons et la parole, Montréal, Guérin, coll. « Langue et société ».

McNEILL, David (1966), « The Création of Language by Children », dans : J. LYONS et R.J. WALES (éd.), Psycholinguistics Papers : Proceedings of thé Edinburgh Conferences, Edinburgh, University of Edinburgh Press, 99-115.

MÉAR-CRINE, Annie et T. LECLERC (1976), « Attitudes des adolescents canadiens-français vis-à-vis du franco-québécois et du français académique », La sociolinguistique au Québec, Montréal, P.U.Q., « Cahiers de linguistique », 6, 155-170.

MÉRESSE-POLAERT, Janine (1969), Étude sur le langage des enfants de six ans, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé.

MOUNIN, Georges (1975), Clefs pour la langue française, Paris, Seghers.

PAGÉ, Michel (1981), « Problématique des recherches comparatives sur la langue d'enfants issus de milieux différents », dans G. GAGNÉ, Michel PAGÉ et coll. (1981a), 175-192.

________et Judith COMEAU (1981), « Les structures de phrases : comparaison de milieux au niveau de la première année scolaire », dans : G. GAGNÉ, M. PAGÉ et coll. (1981a), 205-220.

PALERMO, David S. et Dennis L MOLFESE (1972), « Language Acquisition from Age Five Onward », Psychological Bulletin, 78/6 : 409-428.

PETIOT, Geneviève et Christiane MARCHELLO-NIZIA (1972), « La norme et les grammaires scolaires », Langue française, 16 : 99-113.

PIERRE-JOLY, Régine (1981), « Influence du milieu socioéconomique sur le développement des structures syntaxiques entre quatre et cinq ans », dans : G. GAGNÉ, M. PAGÉ et coll. (1981a), 193-204.

PRIMEAU, Gilles et Guy GABELLE (1981), « État et évolution du vocabulaire d'enfants québécois de neuf à douze ans », dans : G. GAGNÉ, M. PAGÉ et coll. (1981a), 133-143.

RÉMILLARD, Louis (1972), The Role of Phonology, Lexicon and Syntax in Eliciting Reactions to Dialect Variation, mémoire de maîtrise, Montréal, McGill University, non publié.

REY, Alain (1972), « Usages, jugements et prescriptions linguistiques », Langue française (La norme), 16 : 4-29.

RONDAL, Jean, Mourad ADRAO et Sylvie NEVES (1981), « Classe sociale, langage et instruction : la compréhension du langage de l'enseignant par l'enfant au niveau de l'école maternelle et de la première année », dans : G. GAGNÉ, M. PAGÉ et coll. (1981a), 249-263.

SHATZ, Marilyn et Rachel GELMAN (1973), « The Development of Communication Skills : Modification in the Speech of Young Children as a Function of Listener », « Monographs of the Society for Research in Child Development », 38 (5, Serial Number 152).

SMITH, Frank (1971), Understanding Reading. A Psycholinguistic Analysis of Reading and Leaming to Read, New York, Holt, Rinehart and Winston.

SORECOM (1973), Les mass média, l'attachement à sa langue et les modèles linguistiques au Québec en 1971, études réalisées pour le compte de la Commission d'enquête sur la situation de la langue française et sur les droits linguistiques au Québec, Québec, Gouvernement du Québec, éditeur officiel.

STERN, Otto (1981), « Oral Narrative Styles in Swiss-German and the Acquisition of Literacy », dans : B. SIGURD et J. SVARTVIK (éd.), A.I.L.A. 81 Proceedings Sections and Workshops, Lund (Suède), A.I.L.A. 81, Université de Lund, 34-35.

TARRAB, Elca (1981), L'élaboration du langage au primaire : pistes d'objectivation, Montréal, PPMF primaire, Université de Montréal, coll. « Le français à l'école primaire ».

TORDOIR, Michel (1981), « Élaboration et implantation des programmes dans l'enseignement primaire », communication présentée au colloque Québec-Belgique organisé par l'Association québécoise des professeurs de français et tenu au P.P.M.F. primaire de l'Université de Montréal en août 1981, non publié.

TOUGH, Joan (1974), « Children's Use of Language », Educational Review, 26/3 : 166-179.

________(1977), The Development of Meaning. A Study of Children's Use of Language, London, George Allen and Unwin Ltd.

________(1979), Talk for Teaching and Learning, London, Ward Lock Educational.

VALIQUETTE, Josée (1979), Les fonctions de la communication, au coeur d'une didactique renouvelée de la langue maternelle, Québec, Gouvernement du Québec, ministère de l'Éducation, Service de recherche et expérimentation pédagogique.

WALTER, Henriette (1977), La phonologie du français, Paris, P.U.F.

WELLS, Gordon (1981), Learning Through Interaction. The Study of Language Development, Cambridge, Cambridge University Press.

WIGHT, J. (1976), « Speech Acts : Thought Acts », Educational Review, Special Issue : Developments in Language, 28/3 : 168-179.

WINKIN, Yves (1979), « Variétés de langue dans la Communauté française de Belgique : proposition pour une ethnographie de la communication », dans Actes du colloque « la Belgique vue par la sociologie », Louvain-La-Neuve, Groupe de sociologie wallonne, U.C.L., 39-51. Cité dans : J.M. KLINKENBERG, D. RACELLE-LATIN et G. CONNOLY (réd), Langages et collectivités : le cas du Québec, Montréal, Leméac, 1981, 256.

________(1977), « Les résolutions de l'Assemblée générale », Québec français, 28 : 11.

Office de la langue française, Afficher en français, c'est bien normal. 101. expressions à corriger, Gouvernement du Québec, 1981.

Ministère de l'Éducation, Gouvernement du Québec (1979), Programme d'étude primaire français, Québec.




haut

Gouvernement du Québec, 2012
© Gouvernement du Québec, 2012